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1937 Claude. Certificat. Pension.
1937, année marquante pour moi.
Le 3 janvier est né cet amour de petit frère si
beau, si beau qu'il n'y en avait pas de plus beau ! En pleine
nuit, papa nous a réveillés et emmenés chez
Tante Marraine, tandis qu'elle-même s'habillait en hâte
pour venir assister maman. Nous nous sommes glissés, Anne
et moi, dans son lit tout chaud, Bernard dans le 2e lit de sa
chambre, et voilà, au réveil, nous avions bel et
bien le petit frère souhaité. Il a eu la gentillesse
de naître avant quAnne ne soit repartie à la
fin des vacances de Noël. Mais quel chagrin pour elle le
lendemain !
Moi, j'étais une grande privilégiée. Anne
était sa marraine mais c'était moi qui restais là,
près de lui, moi qui pouvais le dorloter, voir ses premiers
sourires, lui donner son biberon et plus tard ses petites bouillies
Nestlé. Ce que c'était bon ! Je mettais une
cuillerée de plus de farine pour pouvoir lécher
la casserole. Et le petit frère grandissait à merveille
!
D'autre part il y eut la fameuse « mission »
cet hiver-là, et puis je passai mon « Certificat
d'études ». Huguette, Agnès et Odile
l'ont aussi obtenu. Madame Moreau cependant n'était pas
tout à fait satisfaite : je l'ai déçue
en nayant que la mention bien. Elle espérait mieux,
mais je me suis emberlificotée dans ma « pièce
en coin au point de surjet ». Je ne savais plus si
je devais aller de gauche à droite ou de droite à
gauche ! C'est qu'il fallait faire beaucoup de choses dans
la journée, au Certificat ! D'abord une dictée
avec question de sens et de grammaire, une rédaction, deux
problèmes (et c'était la tête qui était
une calculette !) Un devoir de sciences, un devoir d'histoire-géo
avec une carte par cur (il fallait savoir beaucoup de choses
par coeur : au moins cent dates en histoire, tous les noms
des rois depuis les mérovingiens, toutes les principales
batailles et campagnes et bien sûr, le déroulement
de la Révolution. En géographie : les montagnes
avec sommets et cols, les fleuves avec leurs affluents et les
principales villes traversées, les bassins et les côtes
avec les ports, et les 52 départements avec leurs préfectures
et leurs sous-préfectures !!) Puis « à
l'oral », lecture à haute voix, poésie,
chant, couture... C'était sérieux !
Bref, le 1er octobre, je pris le chemin du Cours Dacier, avec
un solide trousseau de coton dont des chemises de nuit assez amples
pour qu'on s'habille « dessous » ! Mais
ça, c'est une autre histoire... J'ai été
heureuse de partir étudier, ne faire que cela sans être
dérangée, sûre des bases solides inculquées
par Madame Moreau, prête à défier toutes les
filles du Cours Dacier, même les « de »...
même les filles d'officiers...
Mais... ma joyeuse enfance de petite campagnarde était
finie. La page était tournée ! Et tout changea très
vite !
Au printemps 39, papa fit démolir la vieille maison à
coups de masses, de mailloches, de marteaux (car il n'y avait
ni bulldozer, ni pelleteuse). Il confia la construction neuve
à monsieur Gautier de Martigné. J'étais en
pension et n'ai pu suivre le déroulement des opérations.
Le cadre de mon enfance avait disparu lui aussi ! Bientôt
Hitler nous précipita dans la guerre et les bouleversements !