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Papa  : voyage en Lot-et-Garonne
En 1934, après le décès de grand-père Louis Bonvalet de l’Aleau et de grand-père Charles Breton, au printemps, maman était très fatiguée. Garde-malade quotidienne depuis plus de trois ans, elle devait assurer en outre tout le travail habituel : maison, commis, enfants, clients, basse-cour ! Elle n'en pouvait plus et commençait déjà à « trembler » un peu, à 31 ans.
Papa décida donc de lui offrir un voyage, pour changer d’air, oublier un peu ces années dures. Il répondit à l'invitation permanente de son vieil et cher ami, prisonnier avec lui au camp de Giessen, André Pinasseau, habitant près de Marmande, dans le Lot-et-Garonne. Long voyage avec une voiture (peut-être la « Chenard ») qui ne devait guère dépasser les 80-90 à l'heure. Le réseau routier était loin d'être ce qu'il est aujourd'hui (pas d'autoroute, pas de 4 voies) mais enfin Michelin était déjà là avec les « bornes Michelin » aux carrefours essentiels, avec ses « cartes Michelin ». Avec papa très habitué à circuler, pas l’ombre d'un problème. D'ailleurs il y avait peu de circulation et par moment, même sur la nationale, on était quasiment seuls. Papa s'arrêtait par moment et je le vois encore s'étirant, secouant ses longues jambes pour les dégourdir. Maman lisait la carte et nous énumérait tout au long du chemin villes, rivières et sites : ce voyage devait nous faire progresser en géographie.
Il nous fit découvrir beaucoup de choses en effet ! Et d'abord cette famille Pinasseau, si chaleureuse, à la parole si chantante, les parents, les deux fils, Geneviève si gentille qui jouait de l'harmonium à l'église… Tout étonnée, je devenais Madeleine... Toute la vie chez eux avait l'air de chanter.
Étonnement devant les saucissons secs et poivrés suspendus aux poutres d'une terrasse couverte attenant à la cuisine, sur laquelle nous prenions les repas, en plein air. Il faisait si beau ! Surprise devant les champs de maïs (il n'y en avait pas encore à Louresse) avec leurs « poupées » blondes ou brunes. Surprise encore plus grande devant les vaches en stabulation libre qui passaient leur tête par des ouvertures pour croquer les tiges de maïs posées dans des mangeoires extérieures. Ces vaches, c'étaient elles qui tiraient charrettes et charrues  : incroyable pour les petits angevins que nous étions  ! Dans les champs, on nous signalait ici et là de hauts cyprès, signe que des gens étaient enterrés là chez eux. Et tant d'autres étonnements encore !
Ayant trouvé une grande « auto-taxi », avec chauffeur, monsieur Pinasseau nous emmena pour un périple de trois jours avec Geneviève, vers le sud : gouffre de Padirac, Lourdes, cirque de Gavarnie (sur le dos d'un mulet qui adorait les bords de précipices...) Bref, découverte des rivières et grottes souterraines, des montagnes (j'en voyais pour la première fois !), du gave de Lourdes avec les malades en petites voitures... Que de nouveautés pour une petite campagnarde de 9 ans  !
« Oh  ! Un’ p’tit b’lette a traversé la route ! dit maman dans la voiture. - Oui, c'est une petite belette » confirma monsieur Pinasseau ! »
Merci papa ! Quelle idée géniale ! Ce fut magnifique ! Et merci à toute la famille Pinasseau  !

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