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Papa  : adjoint au maire.
Le maire était monsieur Joseph Courant du Pont-de-Varannes. C'était loin ! Aussi nombre de personnes préféraient-elles s'adresser à « Monsieur l'adjoint » qui habitait au beau milieu du bourg.
On venait consulter papa pour des conseils, des problèmes de famille, des chicanes entre voisins, des histoires de bornage. C'était sans fin ! Il lui fallait parfois aller trancher le problème sur le terrain... En général les choses s'arrangeaient, après conciliation longue et difficile autour de quelques verres de vin ! Papa disait que ceux qui lui mettaient le plus de bâtons dans les roues, c'étaient « ceux du curé », ceux qui allaient à l'église... Lui n’y allait pas trop, aux grandes fêtes, aux enterrements bien sûr, mais le dimanche il y avait les clients... Cependant papa était un grand cœur, plus charitable que bien des pratiquants, ayant un vrai souci des pauvres sur la commune. Par exemple, si un vrai pauvre mourait, papa le faisait enterrer décemment aux frais de la commune (du moins plus tard, quand il fut maire).
Ceux qui réclamaient souvent « monsieur l'adjoint », c'étaient les « romanos » = romanichels = bohémiens. Quand ils stationnaient à proximité du village ou même sur la place, ils devaient faire signer leur « carnet », un carnet en piteux état, noir, écorné, qui portait la photo du chef de roulotte et les noms de toute la nichée. Cette signature était obligatoire. Le cachet de la mairie était sur le bureau de papa. Quand celui-ci était absent, les gitans demandaient à maman de signer pour qu'ils n'aient pas à aller jusqu'au Pont-de-Varannes, au pas de leurs chevaux. Et les bohémiennes en profitaient pour vendre à maman paniers et dentelles...
Maman avait parfois bien du mal à se défaire des bohémiennes très accrocheuses et souvent revenues. C'était le côté un peu pénible de son rôle de femme de monsieur l'adjoint... (Et ça ne faisait que commencer puisque papa fut ensuite maire jusqu'en 1966).
Papa a donc marié bien des Louressois. Il fut aussi invité à bien des mariages car ses clients devenaient des amis, de bons amis, et s'ils mariaient un de leurs enfants, certains invitaient « monsieur Breton et toute sa famille ». Il est vrai que papa aimait la fête, l'ambiance chaleureuse, la bonne chère, les vins de qualité, et puis il avait des talents de conteur ! Il avait toujours sur lui un mini-carnet où il notait de sa fine et belle écriture toutes les bonnes histoires entendues à droite et à gauche, qu'il ressortait dans les festins selon l'auditoire. « Monsieur Breton, une histoire ! Monsieur Breton, une histoire ! » scandaient les convives. Papa se levait. Minute de silence. Maman se demandait avec un peu d'inquiétude ce qu'il allait sortir. Bien sûr, c'était souvent à double sens, un peu grivois pour les initiés, mais jamais grossier ni vulgaire. Applaudissements  : « Encore une  ! Encore une  ! » Il avait l'art du suspense, savait capter l'auditoire. De même lorsqu'on lui demandait de « dire un mot » à la fin d'un repas, il avait l'art d'improviser. Et nous, nous admirions notre papa.
Parfois, de bons clients invitaient aussi « toute la famille » à simplement déjeuner. Et là... nous nous ennuyions toujours un peu. Il n'y avait pas après le repas la perspective de la danse et de la musique !

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