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Papa  : à Condé-sur- Noireau
Condé-sur-Noireau est une charmante petite ville de la Suisse normande, près de Flers-de-l'Orne. Le jour de la Saint Gilles, 2 septembre, se tenait là-bas une énorme foire aux chevaux, que papa ne manquait pas  !
Par ailleurs habitait à Condé un client de papa pour les pépinières  : il achetait beaucoup de pommiers et les revendait, étant horticulteur. Ce monsieur Hérault venait parfois à Louresse pour acheter sa marchandise. Il avait trois enfants à peu près de notre âge, Georges, Marguerite et Jean, que leur mère, née Kauffer, alsacienne, appelait Chorche, Guiguitte et Chan. Comme la foire de la Saint Gilles était aussi une grande fête foraine, un jour papa nous emmena avec lui en Normandie, sans maman. Quelle affaire ! C'était loin !... La route était longue. Papa nous faisait chanter : « As-tu connu Pipeau, Pipeau qui jouait de la flûte  ?... », ou bien « Saint Antoine avait un cochon moitié poil de bique moitié poil de chèvre, Saint Antoine avait un cochon, moitié poil de bique, moitié poil de mouton »... ou bien « Sous le pont du Thouet, la poule y couve, la cane y pond » qu'il fallait redire à toute vitesse, comme « les chemises de l'archiduchesse »...
Papa s'arrêtait à Laval pour retenir hôtel et écurie, pour Argoulon et ses chevaux, tel jour. Ou à Mayenne. Ou à Domfront... Enfin on arrivait à Condé ! D'abord se déchausser  ! Cette maison briquée « à l'alsacienne » me glaçait. On mangeait, tout raides et silencieux, à la salle à manger. Ce qui m'ennuyait le plus, c'est qu'il nous fallait traverser la chambre de Monsieur et Madame Hérault pour aller dormir. Je me sentais terriblement prisonnière et bien sûr... j'avais envie de pipi justement  !
La foire était belle, c'est sûr, mais on la payait bien  ! Car Monsieur et Madame Hérault allaient vendre leurs légumes au marché le matin et nous devions avec Georges et Guiguite les aider à éplucher des cageots d'épinards, en hâte, très tôt. Mauvais souvenir. L'œil de Madame Hérault était là  : il ne fallait pas froisser les feuilles, pas laisser un bout de queue  !
L'après-midi, certes, la foire valait la peine. Pour nous, enfants de Louresse, elle était immense, éblouissante. Une tombola m'attirait particulièrement, fascinée que j'étais par un automate, tout petit personnage mécanique à vraie tête humaine, qui chantait :
« Zigue Zigue Zigue Marguerite, Zigue Zigue Zague et Zim boum boum  ! »
Nous riions beaucoup ! Je gagnai un beau lot : une série de boîtes à épices que j'étais si heureuse de rapporter à maman  !
Mais la foire sous l'œil vigilant de Madame Hérault perdait de son charme, même si Georges, Guiguite et Jean étaient très gentils, et j'avais hâte de rentrer. Nous y sommes allés plusieurs années de suite. C’est là-bas, à la radio (nous n'avions pas de TSF à la maison) que j'ai appris le décès accidentel de la reine Astrid de Belgique. Madame Hérault était consternée  ! « Elle était si jeune et si belle »  !
En 1930, papa nous a emmenés au Mont Saint-Michel, avec ma marraine qui avait 15 ans. Bien sûr nous sommes montés jusqu'en haut, mais il en faut beaucoup pour épater un enfant de 5 ans... Du moins le Mont Saint-Michel m’a-t-il toujours semblé familier, connu. Marraine m'offrit un porte-plume avec une petite lucarne en verre où on pouvait apercevoir le Mont en fermant un œil. Maman m'acheta une boîte à couture avec le Mont sur le couvercle. Je cachai mes trésors dans ma « boîte à chat ».

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