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La mise en bouteilles.
Comme le « jour du cochon », les jours de mise en bouteille étaient des jours festifs. Car il ne s'agissait pas de « cubis » de 20, 30 , 40 litres... mais bien de barriques entières  ! Des barriques de 200 litres ? Nous récoltions du « vin courant », bon, agréable, mais peu chargé. Les meilleurs, seulement des rouges, rosés, cabernets, blancs étaient mis en bouteilles.
Mais papa était grand amateur de vins. Il en goûtait beaucoup chez ses clients et collègues et s'en faisaient livrer des barriques ou demi-barriques ...
Alors commençait le lavage des bouteilles qui étaient soigneusement entassées en grand tas au fond de la cour. Et dans ce travail, nous, les enfants, avions notre rôle  : faire le premier décrassage extérieur ou intérieur dans un premier baquet contenant de l'eau avec un peu de lessive, et passer la bouteille dans le 2e baquet ou œuvraient deux commis, armés d'une « brosse à bouteille » et d'une ficelle avec un nœud au bout, pour éventuellement retirer des bouchons « tombés dedans ». De leurs mains, la bouteille devait sortir nette. À nous, avec Yvonne ou Andrée, de la rincer dans l'eau très claire d'un 3e baquet, puis de la mettre à égoutter sur une grande « planche à bouteilles » régulièrement perforée, et posée sur 3 tréteaux. Ça c'était la veille, gros travail quand il s'agissait de 300 bouteilles.
Le lendemain, d'abord « percer » la barrique (qui est à la cave), y fixer une « cannette », sous laquelle on dispose une cuvette, placer une petite chaise pour celui qui va « tirer » le vin. Un autre lui apporte les bouteilles qui ont séché sur la cour. Un autre porte les bouteilles remplies à celui qui actionne la « machine à boucher ». Un autre porte les bouteilles bouchées près des casiers où là, papa ou Argoulon, range soigneusement les différents crus, selon les années. Véritable travail à la chaîne  !
Mais l'ambiance était toujours joyeuse. La mise en bouteille, ça se dit, le vin ça sent bon ! et toute la journée, on voyait des hommes entrer, descendre à la cave, goûter le vin, comparer, discuter… Pas question de refuser un verre de vin un jour de mise en bouteilles, même pas à un poivrot. Même nous, les enfants y goûtions. Maman aussi, qui avait droit à des cases spéciales, dans la petite cave sous les chambres, pour quelques bouteilles de ses vins préférés, toujours excellents. Dans des occasions exceptionnelles, on allait chercher une bouteille du « vin de maman ». Et qu'on apporte le vin d'une cave ou d'une autre, nous devions toujours en prendre le plus grand soin  : ne pas pencher la bouteille, ne pas la secouer. Aller chercher du vin à la cave faisait quotidiennement partie de nos tâches d'enfants. Maman nous remplaçait quand nous étions à l'école. Papa n'allait pas chercher le vin lui-même...
Quelques fois il se passait des avatars dans les caves  : la petite cave parfois se remplissait d'eau. Il fallait installer madriers et planches pour aller tirer le vin. Parfois des bouteilles se mettaient à fermenter, faisant exploser les bouchons, se vidaient bruyamment... Il ne restait plus rien dedans ! Parfois aussi la cave avait la visite de l'un ou l'autre commis qui chipait une bouteille et la cachait dans un coin du jardin, ou dans son armoire, ou même dans son lit  !!

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