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Yvonne ou Andrée
« La petite bonne » disait-on, « bonne à tout faire ».
En effet, elle faisait tout avec maman, ou avec nous, parfois avec les hommes, en période de gros travaux.
À peine fini l'école (qu'elle n'aimait pas), Yvonne est venue à la maison quelques mois après ma naissance. Elle avait 12 ans. Son père était charron à La Bournée. J'ai peu de souvenirs d'elle. J'étais trop petite. Elle était pour nous une seconde maman et j'ai toujours une grande affection pour elle qui, à 90 ans, est à la maison de retraite de Doué. « Tiens, tu es là ! » me dit-elle, en me montrant la photo de groupe de son mariage. En effet, j'étais sa petite « demoiselle d'honneur ». Elle est restée à la maison jusqu'à son mariage, et même quelques temps après, avec Léon son mari. « J'ai tout appris de ta maman » dit-elle volontiers.
Yvonne me rappelait l'autre jour que, le premier soir, papa étant « en foire » en Normandie, elle avait dormi avec maman. Et en 1931, tandis que mes parents étaient à l'exposition coloniale à Paris, grand-père Benjamin était venu dormir dans leur chambre tandis qu’Yonne, Anne et moi dormions à côté, toutes les 3 dans le même lit  !!

De même Andrée, qui est arrivée à la maison à 13 ans, avec seulement 3 ans de plus que Anne et 5 ans de plus que moi. Je la vois encore pleurant dans son assiette le premier soir « Mange, Andrée, disait maman. Tu verras, tu vas t'habituer »... Elle venait pour un mois d'essai, elle est restée 7 ans, elle aussi jusqu'à son mariage. Nous sommes toujours amies et en l'an 2000 j'étais invitée à ses 80 ans  !
Elle était de Nueil-sur-Layon et ne retournait chez elle qu'une fois par mois, en vélo. Nous l'aidions le samedi matin à faire vite la vaisselle pour qu'elle puisse partir plus tôt. Les autres dimanches, elle était avec nous, partageait nos jeux et nos promenades, tout. C'était comme une grande sœur. Mais de toute façon, les heures de loisirs du dimanche n'étaient pas si nombreuses. En effet, comme chaque jour, il fallait matin et soir soigner poules et lapins. Ajouter messe et vêpres, vaisselle des 3 repas. Le dimanche était déjà bien grignoté  !...
Que faisait encore une « petite bonne »  ?
Avec maman, elle faisait lessive et ménage. Elle s'initiait à la cuisine, au repassage, au raccommodage... Et il y avait un raccommodage qui était rude et rugueux pour les mains, celui des sacs à pommes de terre et des sacs à grain, de grands sacs en toile de chanvre, raides, difficiles à manipuler. Avec du raphia enfilé dans de grosses aiguilles, il fallait boucher et, pour le grain, bien boucher les trous faits par les rats ou souris, mettre des pièces quand les trous étaient trop grands. Il n'y avait pas de sacs de plastique  !
Exceptionnellement Andrée allait dans les champs (maman n’y allait jamais) pendant les grands travaux qui requéraient toute la main-d'œuvre possible  : foins (surtout la première coupe, plus abondante), moissons, vendanges, éventuellement pépinières  : en effet il n'y avait pas de « défoliant » pour faire tomber les feuilles des jeunes pommiers. Il fallait y mettre la main, travail de femmes, ou même d'enfants  : nous-mêmes étions parfois mobilisés le jeudi, et je me souviens avoir eu grand froid aux mains, même si un petit feu brûlait au bout du champ, et aux pieds dans « la gadouille » d'automne. Car il n'y avait pas de bottes  !
Les foins et les moissons étaient de rudes journées pour Andrée. Maman lui disait après déjeuner : « va « faire marienne » comme les hommes, je me charge de la vaisselle. Va dormir un peu. Il fait si chaud ! » La maison plongeait dans un grand silence. Le repos des travailleurs était sacré. Seule, une poule chantait, parfois, après avoir pondu, sous le grand soleil de midi...

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