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Les fêtes de Louresse.
Nous ne sortions guère de Louresse, mais Louresse avait ses propres fêtes  !
Il y avait d'abord, le 3e dimanche de janvier, la Sainte Emérance. C’était à Rochemenier bien sûr. Comme on y fêtait deux Saintes «enfants », Agnès et Emérance, c'était un peu la fête des enfants, fête qui remonte certainement au temps où Rochemenier n'était pas encore rattaché à Louresse. C'était la fête de Rochemenier. On y allait à pied, jouant et bavardant en chemin pour les vêpres. Les mamans habillaient joliment leur progéniture et chaudement car l'église, comme toutes les autres, était glaciale et on ne pouvait pas emporter sa « chaufferette ». Vêpres en latin bien sûr. Lumières. Fleurs... Je retrouvais des échos des vêpres de Louresse et chantais là-aussi de bon cœur « Tonton Margot, sa cravate…oum ! » Au lieu de « Tantum ergo sacramentum ! » Ostensoir doré. Ornements dorés, encens... Même si le sermon était un peu long, j'aimais tout cela, et je « croyais ». De tout cœur pour finir je chantais avec tous  : « Des petits enfants, Bonne Sainte Emérance, Fleur d'innocence, écoute les chants ! ».
À la sortie, nous regardions un moment tirs et tombolas. Nous essayions d'apercevoir les danseurs sous la tente, autour de Nonor Chouteau et son accordéon. Maman nous offrait quelques bonbons et gâteaux. Et nous reprenions la route. Mais « l'assemblée de Rochemenier » s'est bientôt éteinte.
L'assemblée de Louresse au contraire a duré. C'était le 4e dimanche de mai (chaque commune environnante ayant « son » dimanche). Pendant deux jours tout le long de la grand’route, il y avait des stands, des tirs, des tombolas, des marchands de jouets, de cacahuètes, de berlingots, de brioches et gâteaux, de limonade... Le bal était là bien sûr, avec son bruyant accordéon, joyeux, plein d'entrain, et Suzanne Chouteau qui se tenait à la porte marquant les poignets d'un tampon à encre, évinçant les resquilleurs et veillant à ce qu'on ne puisse rien voir du dehors... à notre grand regret ! et au regret des « enfants de Marie » qui n'avaient pas le droit de mettre un pied dans un bal public. Y jeter un œil était déjà être sur la pente savonneuse !!
Pour nous les enfants, seuls comptaient les chevaux de bois, un beau manège avec... deux « toupies », ces sièges ronds ou l’on pouvait monter à plusieurs et où un volant nous permettait de tourner à toute vitesse autour d'une axe. On en descendait nauséeux, étourdis mais on adorait cela. Et Argoulon nous payait plein de tournées ! Le samedi soir et le lundi soir, elles étaient à mi-prix !... Parfois un manège de « pousse-pousse » était là pour les grands qui s'envolaient haut, les garçons se débrouillant pour attraper le pousse-pousse d'une fille et la faire virevolter, tournoyer, avec de grands cris et de grands rires. C'était la fête !
Et puisque c'était la fête, il y avait des jeux ! Des jeux traditionnels : le mât de cocagne, la course en sacs, la course à cloche-pied, la course avec une grenouille dans une brouette, avec un œuf cru dans une cuillère tenue entre les dents, la course sur les mains avec un partenaire tenant les pieds, le concours d'œufs durs : qui avalerait le plus vite 6 oeufs durs ? Bien sûr celui qui prenait le temps de mastiquer et d'avaler lentement... C'étaient des encouragements, des moqueries, des fous-rires. On était furieux quand un « étranger » du village voisin gagnait. C'était la fête « de Louresse »  !

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Le 14 Juillet. Le 11 Novembre.
Le 11 Novembre était une fête grave. Les gens étaient encore tout imprégnés de la guerre de 14 -18, vieille seulement d'une quinzaine d'années.
Le matin, « messe des morts » chantée en latin par le sinistre vieux père Jaudouin, dont le tragique « dies irae, dies illa… » (« jour de colère que ce jour-là »…) nous plongeait dans des abîmes de crainte et de tristesse. Nous ne comprenions rien, mais nous sentions tout cela, à travers le « grégorien » et le noir des habits liturgiques.
Après quoi, procession au « monument aux morts »  : les enfants des trois écoles (les deux laïques et l'école libre des filles) étaient là, au complet. Pas question de ne pas y être ! Nous reconnaissions les hommes marqués par la guerre, blessés, gazés, mutilés, les veuves aussi, en noir pour toujours, et leurs enfants, les « vieilles filles » dont les fiancés étaient restés dans les tranchées. Toute la population louressoise était là, communiant dans un même grave souvenir. Après le discours de Monsieur le Maire, nous, les enfants, déposions en silence, sur les marches du monument, le bouquet que nous avions cueilli au jardin  : chrysanthèmes aux chaudes couleurs, misère bleue, misère blanche... Souvent il bruinait, on avait froid ... Vite ! À la maison  !
Rien de tel avec le 14 juillet, fête nationale !
D'abord c'était le premier jour des vacances. À nous la joie  ! La veille au soir, désœuvrés, nous étions déjà allés rôder du côté de la mairie où l'on installait des tables, des bancs, le « coin de la barrique » sous le tilleul. Oui, tout était bien en place. Demain on se réjouirait.
Pas de messe, bien sûr, pour une fête née de la révolution mais une invitation par la municipalité à venir se régaler aux frais de la commune. À midi, distribution de « petits pains » (du boulanger), bourrés d'un excellent pâté de campagne (du boucher). Les gens se bousculaient au portillon  : on surveillait les grandes corbeilles. Y en aurait-il encore quand ce serait notre tour ? Oui, il y en aura, et plus encore : il en restera ! Et chacun de croquer à belles dents, de s’essuyer lèvres et moustaches, avec des sourires de connivence  : « c'est vraiment bon ! »
Mais bien sûr ça ne peut pas s'avaler sans boire et à un moment précis, Monsieur le Maire annonçait qu'on allait « percer la barrique », mettre la « canette ». Grand silence ! Tout le monde veut voir  !... Et le vin jaillit  ! Maintenant chacun peut se désaltérer à satiété et plus  ! Les plus fragiles bientôt se mettent à parler haut et fort. On les provoquait. On riait très fort. Certains déjà ne tenaient plus debout, roulaient littéralement sous les tables. Et les plus bêtes les faisaient boire encore  !
Ainsi de Madame Baranger, la femme du forgeron, plantureuse, blonde et frisée, dans sa robe multicolore, en compagnie de son inséparable petit chien qu'elle serrait sur son cœur, à la place des enfants qu'elle n'avait pas eus. Elle buvait pour se réconforter, quasi quotidiennement, ce jour-là plus encore. Les imbéciles lui faisaient fête, trinquaient avec elle, jusqu'à ce qu'elle s'effondre, jusqu’à ce que son mari vienne la chercher avec une brouette. Pauvre Léontine  !! Pourtant si gentille avec les enfants... Parfois un bal était installé dans la cour de l'école, et l'accordéon soutenait ces réjouissances rabelaisiennes. Maman ne nous laissait guère nous attarder ...

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