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La maison Laurendeau
Ça, c'était vraiment un endroit très très
intéressant. Il s'y passait tant de choses !
Café. Tabac. Régie (congés pour le vin),
standard téléphonique, coiffeur, tonnelier, balançoire
sous le vieux tilleul. Qui allait-on voir au café ? Sûrement
des gens connus, mais aussi des têtes inconnues qui nous
intriguaient. Et toutes ces boissons multicolores ! Bière,
sodas à l'orange ou au citron, menthe verte, Pernod jaune,
Byrrh, rhum, « du Bo-du Bon-du Bonnet »
etc ... etc
Et tous ces paquets de cigarettes argentés
dans le petit coin de la caisse, derrière les grilles,
l'odeur du tabac à priser ou à chiquer dans des
petits tiroirs. Le tabac à chiquer se présentait
en barre dure, comme un saucisson ! On en coupait un bout
qu'on pesait avec une petite balance pour en peser 20 g ou 30
g. Les cartes postales à choisir, les couteaux à
vendre accrochés au grillage avec quelques petits flacons
de parfum. Sur la table à côté, les grands
registres de la Régie. Ça, ça ne badinait
pas !... Et qui donc joue au billard américain, ce
grand billard à trous, dans lequel il faut glisser des
sous pour avoir les boules ? Quand par hasard, il n'y avait
pas d'amateurs, Huguette ou Gérard allait prendre une pièce
dans la caisse à tabac et nous pouvions faire une bonne
partie !...
Le standard téléphonique nous impressionnait beaucoup.
Ce tableau à trous au mur, ces fiches multicolores au bout
d'un fil, que Madame Laurendeau savait enfoncer dans le trou voulu...
Ces gens qui parlaient de loin... « Quel numéro
demandez-vous ? - Le 7 à Louresse, Monsieur Breton ».
Et Madame Laurendeau enfonçait une autre fiche pour établir
la communication. Quel mystère !... Parfois, disait Madame
Laurendeau, « cette personne n'a pas le téléphone
- Non, mais vous pouvez faire un appel téléphonique,
ou lui porter une « dépêche ».
Les mots de la « dépêche »
étaient inscrits sur un papier bleu. Bientôt Huguette
fut chargée de les porter en vélo dans tous les
coins de la commune. De La Bournée aux Patauderies, à
Rochemenier, Launay, Brosse, Champfort, Villevert, Corbeau etc...
Alors, quand nous avons pu rouler sur un grand vélo dont
on avait baissé le siège au maximum, Huguette nous
demandait de l'accompagner, car ça l'ennuyait d'aller seule,
ou avec Gérard, « jusque là-bas ».
Et c'est ainsi que je connaissais pratiquement toutes les familles
de Louresse et leur maison.
Quant à Monsieur Laurendeau, le samedi, il était
coiffeur, dans une petite chambre sommairement aménagée.
Nous attendions patiemment notre tour entre quelques hommes, en
silence, écoutant des conversations que nous ne comprenions
pas toujours. Il était sympathique, Monsieur Laurendeau,
mais était gaucher, ce qui m'inquiétait un peu.
Une fois il a un peu éraflé l'oreille d'Anne mais
sans gravité. Malgré la serviette qu'il mettait
successivement au cou de ses clients après l'avoir secouée,
des bouts de cheveux se glissaient dans notre dos, nous grattant,
tandis que la tondeuse nous chatouillait. Allez, on enlève
la serviette, un coup de brosse douce jusque sur le visage, un
petit coup de vaporisateur... C'était fini !
Autre attraction : la vieille corneille toute noire. Elle
était partout ! Et elle parlait ! Quand la
grand-mère Ferchaud appelait « Gérard !
mon Jésus ! Viens donc Gérard »
Le dit Gérard ne se souciait guère de venir. Alors
la corneille volait sur la plus haute branche du grand noyer et
criait à la cantonade : « Errar !
Errar ! m
! m
!» Tout le
quartier savait que la grand-mère cherchait Gérard
et nous riions beaucoup !