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À Saint Mathurin
Donc nous n'avions pas beaucoup de famille. Maman, ayant souffert d'être fille unique, entourée d'adultes et de gens âgés, s'était bien promis d'avoir plusieurs enfants. Nous étions donc trois jusqu’à ce qu'arrive un petit 4e, l'année même où je partis en pension en 1937.
Mais il y avait une famille d'amis qui était pour nous comme une vraie parenté. C'était Monsieur et Madame Charles, de Bellenoue, près de Saint Mathurin. Pierre Charles, qui ayant tiré un « mauvais numéro », avait fait 7 ans (!) de service militaire dans les dragons à Angers, galopant sur la levée de Belle Poule aux Ponts de Cé, quand il avait une permission, pour venir voir sa douce et charmante fiancée, Aline Meignan. À peine était-il marié qu'il fut mobilisé pour la guerre de 14, l'année même de la naissance de leur petit Pierrot ! Après la guerre, ils n'eurent pas d'autres enfants parce qu'il s'avéra vite que ce petit garçon tant aimé avait des crises. Il tombait, se blessait… Les médecins ne surent pas le soigner. C'est lui qu'on me donna pour parrain. Il avait 11 ans.
Monsieur Charles était, comme Papa, grand amateur de chevaux. Sa belle jument blanche, qui sortait la tête au-dessus de la porte de son écurie, tout près de la cuisine, était l'objet d'un soin jaloux. Elle était superbe. Et Monsieur Charles faisait beaucoup de publicité pour papa qui, par lui, avait une belle clientèle dans la vallée (Saint Mathurin, Beaufort, La Ménitré, Longué...). Maman aimait beaucoup Madame Charles et assez souvent nous étions invités à déjeuner chez eux. Ils venaient aussi à la maison. En fait, je connaissais mieux mon parrain que ma marraine. J'étais donc « la filleule », la filleule de Pierrot, et à ce titre l'objet de toute leur affection, je pourrais même dire « adulation » de la part de mon parrain, ce qui bien sûr ne tarda pas à me peser ... Parfois papa nous emmenait « en vacances » chez eux. Heureusement, nous allions tous les trois... pour quelques jours. On chipait des poires dans le jardin, ont taquinait « Folette » la petite ratière hargneuse, on roucoulait avec les colombes, on caressait la jument... J’aimais les cours de Bellenoue, très propres, couvertes en partie d'un tapis de pourpiers multicolores. C'était magnifique ! Sur ces cours si soignées, balayées, on faisait sécher les graines d'oignons, de betteraves, de luzerne, de persil, de fleurs etc... (la terre si légère de la vallée est toujours propice aux graines). Attelée au gros « rouleau » de pierre, la jument tournait en rond sur les tas de tiges sèches pour faire sortir les graines de leur coques, longuement, lentement, plusieurs jours de suite, et des odeurs fortes, enivrantes, se dégagaient, emplissaient la cour, la maison... Parfois, pour certaines plantes, Monsieur Charles prenait carrément le fléau et frappait à coups réguliers...
Un dimanche, ils nous emmenèrent à Mazé où il y avait une petite foire, en « carriole » bien sûr. Il faisait beau ! Nous étions bien, bercés par le trot de la jument qui bien sûr, aux yeux de Monsieur Charles, était la plus belle et la meilleure trotteuse du coin  ! Manèges... Gâteaux ... Fatigue. Au retour, je m'endormis dans la charrette. Beau souvenir ! Ils étaient si heureux d'avoir avec eux des enfants. Il nous présentaient à tous leurs voisins et amis  : « les enfants de Monsieur Breton ». Et nous sentions que nous devions les aimer... Ils ajoutaient en me désignant  : « la filleule de Pierre »...

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