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Et si nous étions malades ?
Il n'y avait pas d'antibiotiques ! Pas de mercurochrome
! Si nous nous coupions ou blessions avec des pointes à
la maison. maman aspergeait la plaie d'eau oxygénée
qui « bouillait » et piquait, et elle nous
mettait une « poupée », pansement
fait de petites bandes de fine toile usagée, de vieux mouchoirs.
Si nous étions dans les champs, un bon conseil des « commis »
: « Fais pipi dessus ». Puis nous
entortillions notre mouchoir autour du doigt ou de la main.
Et si nous tombions sur les genoux en courant ? Malheur !
Les gros bas de laine brune (de rigueur pour les filles qu'on
naurait jamais imaginé mettre en pantalon) avaient
un énorme trou... et le genou aussi, un trou souvent plein
de graviers, de sable, de poussière. Maman nettoyait à
l'eau oxygénée : ça moussait, ça
piquait ! Puis elle mettait une pommade cicatrisante avec
gaze et bande... Il fallait recommencer 3 fois par jour. Souvent
la gaze était collée, ou une croûte dure sétait
formée. Il fallait détremper avec de l'eau tiède,
tirer doucement... Horrible ! Et recommencer pendant des
jours « jusqu'à ce que ce soit sec ».
Toux ? Rhume ? Gouttes d'huile goménolée dans le
nez, lait chaud avec quelques gouttes de teinture d'iode (j'aimais
bien !), sirop, fumigations à l'eucalyptus dans un
drôle de petit récipient : il fallait bien
coller bouche et nez sur l'ouverture adéquate, même
si la vapeur était brûlante. Une grande serviette
englobant tête et appareil rendait le processus encore plus
efficace... (plusieurs fois par jour). Après quoi nous
avions droit à une « pectoïde ».
Un mal de gorge ? Maman examinait les amygdales, prenait
la température. Pas de fièvre. Donc on retourne
à l'école, le cou enfoui dans un « cache-nez »,
quelques pastilles de miel dans la poche. Mais trois fois par
jour l'affreux badigeon des amygdales au « bleu de
méthylène » (écoeurant !).
Et matin et soir des cataplasmes de pommes de terre chaudes écrasées
entre deux serviettes. Ça chauffait très fort. Quelquefois
trop ! Il fallait supporter cette chaudière 1/4 d'heure.
Après quoi notre cou était rouge comme une écrevisse
!
Tout changeait quand il y avait de la fièvre. Une grippe
pouvait être mortelle. Une bronchite pouvait évoluer
en broncho-pneumonie toujours grave... Alors, premièrement,
malgré les rouspétances, lit et diète. Chaleur
et bouillon de légumes ou bouillon de poule. « Combien
de temps, maman ? ». Au moins une semaine...
Surtout ne pas prendre froid dans nos chambres peu chauffées.
Le jour maman allumait du feu dans la cheminée. Grand-père
restait près de nous pour veiller à ce que nous
ne nous découvrions pas, il nous racontait des histoires
de Prussiens ou d'autres... Ainsi je me rappelle cette histoire
d'un Monsieur le Curé qui laisse ses poules entrer dans
l'église. Elles se perchent dans la chaire et quand vient
un prédicateur soudain il sent ses mains, bien étonné
: « Mes bien chers frères, la religion
... Mes bien chers frères, la religion... Ah ! mais
c'est de la m
! ». Et je riais beaucoup
parce que c'était un « gros mot »
absolument défendu ! Encore une histoire, grand-père
! Et nous restions enfouis sous les draps et les édredons
jusqu'au menton. C'est alors qu'on avait le temps de contempler
les fleurs de la tapisserie et d'y voir des têtes de bonshommes.
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Mais les soins ? Oh ! terribles ! La moutarde, quelle
horrible chose ! On essayait les « sinapismes »
sur la poitrine. Comme ça brûlait ! Mais si la fièvre
ne tombait pas, si le docteur rappelé entendait encore
ronfler les bronches alors, pas de pitié, il fallait y
passer : les enveloppements de moutarde ! C'était
l'enfer ! Maman trempait dans l'eau tiède une serviette
éponge, l'essorait bien, puis l'étalait et semait
dessus de la graine de moutarde broyée. Puis elle nous
enveloppait tout le haut du corps là-dedans. C'était
une fournaise ! Comme nous pleurions ! Il fallait tenir plusieurs
minutes dans cet enfer. La serviette retirée, nous avions
le corps tout rouge et brûlant. Et il fallait renouveler
ce supplice deux ou trois jours de suite... On finissait par guérir.
C'était un véritable « remède
de cheval ». Effectivement papa l'utilisait pour les
chevaux qui toussaient. D'autres utilisaient des sangsues :
je n'en ai jamais vu à la maison.
En cas de rougeole, varicelle, pas de pitié non plus :
l'isolement, la chambre pendant 40 jours !! pour éviter
la contagion. Et nous n'avions que quelques livres à notre
disposition : pas de radio, ni disques, ni télé.
Je relisais indéfiniment mes « Bernadette »,
Bernard ses « Curs vaillants »...
mais quel ennui !
Un jour, Bernard voulut « faire le zouave »
sur le grand vélo de papa qui avait un « guidon
de coureur », en allant chercher du beurre à
Ecotier. Tête baissée, il fonce et culbute dans un
fossé. Grand mal aux bras
Je le ramène sur
mon porte-bagages. Coude et épaule abîmés.
Pendant des semaines, en guise de rééducation, maman
va le mettre bien droit devant la paroi de l'alcôve et lui
faire lever le bras chaque jour un peu plus droit, un peu plus
haut... sur ordre du Docteur Ruais. Car il n'y avait ni kiné
ni sécurité sociale en ce temps-là. Les mamans
devaient tout faire !
Si un commis était malade (grippe, toux...) maman le soignait
de la même façon : diète, lit, bouillon
de légumes, aspirine, sirop, pastilles ...
Même chose pour Andrée ou Yvonne. En outre, celle-ci
avait un problème. Elle avait des saignements de nez impressionnants
! Elle, déjà toute pâlotte et menue.
Maman ne savait comment tarir ce flot ! Elle essayait tous
les « trucs de bonnes femmes », y compris
des clés glissées dans le dos !! ?
Il y avait aussi les problèmes de peau, l'impétigo
en particulier, cette éruption purulente, redoutée
parce qu'elle se répandait partout très vite, sur
le corps, le visage, les mains, dans les cheveux... Il fallait
tous les jours enlever toutes les croûtes pour badigeonner
avec un liquide violet. C'était du supplice chinois, surtout
pour papa qui en avait attrapé au visage chez le coiffeur,
sans doute à cause d'un rasoir mal nettoyé. Ces
croûtes purulentes dans sa barbe drue, c'était terrible
!
Il y avait encore l'eczéma, tout aussi contagieux. Un des
commis, le grand Bébert, en avait en permanence. Pour se
laver les mains avant de venir à table, il avait sa propre
cuvette, son propre essuie-main...
Mais au total, l'ensemble de la maisonnée se portait bien,
n'avait pas de problèmes majeurs. Quant à nous trois,
nous étions des gosses robustes.
Maman, elle, n'avait pas le droit d'être malade !
Pourtant elle avait facilement des angines et des crises de foie.
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