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Des visiteurs qui comptaient.
En plus de la vieille voiture du marquis, il y en avait d'autres qui s'arrêtaient sur la place et étaient les bienvenues.
Celle de Victor Raimbault de Rabelais. C'était un monsieur très gentil, souriant, avec sa dent d'or. Il était hongreur, castrait les jeunes chevaux s'il y avait besoin, remettait une épaule déboîtée, avec un art qui le faisait apprécier à l'école de cavalerie. Il passait souvent voir si tout allait bien à l'écurie. Il vendait aussi à Papa un Layon extra de sa production. Dans son éternelle blouse grise, il avait toujours un mot gentil pour nous, les enfants.
Sa femme, très élégante, aimait aller aux courses avec papa dans les environs, lui n'étant pas intéressé.
Ils avaient trois enfants à peu près de notre âge, que je n'aimais pas du tout : Louis, Marie-Louise et Vonvon. Oh  ! La corvée quand papa annonçait  : « Demain, nous allons tous déjeuner à Rabelais  ! ». Cela voulait dire qu'à la fin du repas, on nous dirait : « Les enfants, allez jouer dans le jardin ». Je trouvais leurs jeux bêtes et méchants et je craignais toujours qu'il ne m'enferment quelque part en jouant à cache-cache.
Rarement, la belle voiture de Victor Renault (cousin Germain de papa par les Jaunault) et de son élégante épouse s'arrêtait « en passant ». « Mais, les enfants, il faut que vous veniez jouer avec vos cousins à Doué ». Je sentais Maman réticente. Cette famille est trop riche. leur vie est trop luxueuse. Et puis, sont-ils en bonne santé  ? Victor va de cure en cure... Elle n’osait refuser, nous équipait de nos plus beaux atours, tout en ayant conscience que nous aurions l'air bien campagnards avec nos habits fabriqués par Madame Morille en bas du bourg, tandis que les cousins, très délurés et à l'aise, étaient clients des grands magasins. Maman aussi appréciait la qualité et l'élégance des vêtements de « la Glaneuse » à Saumur, mais elle n'en changeait pas souvent. Pour nous, c'était « du bon » mais la coupe  !??... Bref nous allions avec plein de recommandations de politesse  : « Bonjour, merci, au revoir, ne réclamez rien... Ne buvez pas dans le verre des cousins »... Et nous étions bientôt éblouis par des jeux fabuleux : billard à trous, voiture à pédales, cyclorameur etc... mais en cousins, nous ne les connaissions guère... Aujourd'hui Claude est une vraie amie.
Encore une voiture familière. « Voilà Tonton et Tante de Saumur  ! Maman viens vite ! ». Nous savions que cette visite lui ferait grand plaisir. Tonton était le frère de sa mère, sa seule famille. Et il était toujours si aimable et affectueux ! Les fils (Jean-Pierre que maman aimait beaucoup et Jacques son filleul) étaient restés à l'école (dommage pour maman : ils étaient ses seuls cousins, mais bien plus jeune qu'elle. Tante Mathilde, toute froufroutante et parfumée, couverte de fourrures et bijoux (« ça ne fait rien si cette grosse bague est fausse, ça ne se voit pas sous le gant »)..., ne manquait pas de descendre de voiture avec un paquet « Félix Potin » dans les bras : c'était un énorme paquet de bonbons aux fruits, ou des « pailles d'or », ou des clémentines ... Nous n'avions d’yeux que pour elle !! S'il ne faisait pas trop froid, maman ouvrait la porte de la salle à manger, demandant à ses chers citadins d'excuser la tenue un peu... rustique de ses trois sauvageons.

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