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Comment nous lavions-nous ?
Un vrai problème dans une maison sans eau, sans sanitaires,
sans lieu de toilette...
Chez mes parents, dans notre chambre et près du lit dYvonne
(ou Andrée), une table de toilette avec cuvette, broc et
seau. Papa, torse nu (impressionnant !) se lavait et se
rasait en public, à l'eau froide bien sûr. Il utilisait
un rasoir « coupe-chou », grande lame tranchante
qu'il convenait d'utiliser avec beaucoup d'adresse, après
s'être largement enduit joues et cou de mousse (savon spécial
et « blaireau »). Parfois un peu de rouge
sang perlait dans la mousse blanche. C'était rare et jamais
grave. Mais l'instrument était redoutable et nous avions
l'interdiction absolue dy toucher !
Maman, d'une propreté méticuleuse faisait ses ablutions
le soir, quand nous étions couchés. Elle apportait
une petite marmite d'eau bouillante et se lavait « par
morceaux », redoutant plus que tout de sentir mauvais.
Pas de parfum, mais toujours une bouteille d'eau de Cologne. Comme
papa, elle lançait le contenu de sa cuvette dans la cour.
Quant à nous, la toilette était rapide le matin
!! Une « toilette de chat » qui n'aime
pas l'eau. On se débarbouillait, se lavait les mains, se
peignait. Maman vérifiait oreilles, ongles ... cheveux !...
Car il y avait toujours des poux qui rôdaient dans les écoles.
À la moindre alerte, au moindre soupçon de lentes,
vite une friction de lenticide ou Marie-Rose, « peigne-fin »
pour faire tomber les bestioles récalcitrantes sur une
serviette où on s'empressait de les écraser entre
les ongles des pouces !! C'était parfois bien difficile
de s'en défaire, d'autant plus qu'on risquait toujours
d'en attraper de nouveaux en classe... Sales bestioles !
Nous leur faisions une guerre sans merci.
Cest au jaune d'uf que Maman nous lavait les cheveux.
Prenez une cuvette. Mettez y un jaune d'uf, surtout pas
le blanc. Fouettez le avec de l'eau tiède, vous obtenez
un shampoing moussant très efficace ! Rinçage
à deux eaux, puis un 3e avec une cuillerée de vinaigre.
Et nous avions une chevelure saine, souple et brillante. Maman
utilisait le même procédé pour elle-même
qui avait de longs cheveux retenus dans un strict chignon. Avec
les blancs d'ufs elle faisait de fameuses meringues !
Parfois une grande toilette s'imposait, en plus du bain de pieds
hebdomadaire. Alors était utilisés en guise de baignoire
les « cuards » à lessive, dans la
buanderie. Grands seaux d'eau chauffée à la cheminée,
savon de Marseille, et nous étions frottés des doigts
de pied à l'occiput ! Serviettes de toilette chauffées
devant le feu ! On était bien...
Certaines fois, pendant les vacances, profitant d'un voyage de
papa à Saumur, Maman nous emmenait aux « bains
publics ». Elle achetait deux tickets, deux savons
parfumés, louait deux serviettes. Le premier bain était
pour nous trois : nous découvrions les délices
d'une baignoire, de l'eau chaude au robinet, du trou d'évacuation
: merveilles !... Puis maman s'offrait le luxe du
2e bain, nous installant dans le couloir et nous faisant promettre
d'être très sages. Nous attendions sagement, éprouvant
un bien-être engourdissant dans la tiédeur humide
de l'établissement. C'était quand même exceptionnel
!
Yvonne (ou Andrée) aussi, le samedi, avaient droit à
de l'eau chaude, mais les commis, tous les dimanches de l'année,
se lavaient à la pompe !