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Mais nous les enfants ? Quel espace ? Quels jeux ?
Un 1er principe : être poli, saluer toute personne, clients, commis, etc... S'il vous plaît. Merci. Surtout ne jamais répondre ni discuter.
Un 2e principe  : « ne pas gêner », ni le travail ni les conversations des « grandes personnes ».
Ceci dit, nous étions assez libres de disposer de nous-mêmes, de choisir nos occupations, à condition toutefois que les devoirs soient faits, les leçons apprises et récitées (par cœur !). Pas question de jouer dans notre chambre : ce n'était pas dans les usages. La cuisine, la cour, les greniers, les hangars parfois (avec les risques de se blesser aux outils agricoles  : socs, fourches…) étaient nos terrains de jeu. Et nous avions, dans l'armoire de la buanderie, chacun une boîte aux trésors. C'était une caisse en bois « amidon Lechat » de grand-mère-Lucie-épicière avec couvercle qui fermait. Là nous pouvions mettre nos trésors personnels que chacun se devait de respecter : crayons de couleur, boîte de peinture, cahier, images, bon-points, « papiers argentés », perles, billes, bijoux de trois sous etc... C'était notre seul espace privé, personnel ! Notre « boîte à chat ».
Avec quoi jouions-nous  ?
Avec peu de chose en vérité. Parfois avec rien : avec nos seules mains, par exemple  :
À « pigeon vole ».
À « combien y a-t-il d'argent dans mon petit sabot doré ? ». Il fallait deviner combien de petits cailloux l'autre faisait sonner entre ses mains.
À « tire-poil »  : on traçait un carré par terre avec ses diagonales. Chacun prenait trois cailloux et devait, en les déplaçant sur les lignes, empêcher l'autre de placer les siens en ligne.
À « la marelle » universellement connue.
À « Berlin piche », quand nous étions tout petits, on allongeait nos petits index sur la table en chantant :
« Quand le roi va à la chasse, il rapporte des bécasses.
Il en tue, il en fricasse,
Il en donne à ses p’tits chats qui n'en veulent pas.
Il en donne à ses p’tits chiens qui n'en veulent point.
Il en donne à ses voisins qui en veulent bien.
Berlin Berlin Berlin piche !
À « piche » grand-mère ou maman attrapait un des petits doigts qu’on tentait pourtant de vite retirer. Fou rire...
Avec quelques petits jeux de cartes ou de société déjà nommés, c'étaient nos occupations des jours froids ou pluvieux. Par ailleurs nous avions des petites balles, en mousse de préférence. On les lançait contre le mur en rythme en chantant « À la balle... de Saint-Jean... J’lance la balle, j’la ramasse etc »... Toujours en rythme il fallait faire toute une longue série de gestes sans laisser tomber la balle  : croiser les bras, s'accroupir, sauter, le petit tourbillon, le grand tourbillon... etc... Si en lançant chaque fois la balle contre le mur, nous ne l'avions pas laissée tomber une seule fois, nous avions gagné ! On jonglait aussi, en l'air ou au mur, avec 2 ou 3 balles.
La corde à sauter faisait aussi partie de la panoplie ordinaire. En dehors de cela, restaient les poupées. Oh  ! Nous n'en avions pas un bataillon ! J'ai d'abord eu un petit baigneur de 15 cm en celluloïde. Je l'aimais... Papa m'avait taillé un joli petit lit dans une caissette. Il l'avait peint en blanc avec un filet bleu. Maman avait bordé de dentelles drap et petite taie, tricoté culotte et brassière... Hélas, un rat ou une souris un jour lui rongea le bout du nez !! Je l’aimais quand même.

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J’eus ensuite une petite poupée en chiffon, offerte par ma marraine à une « assemblée » (petite fête foraine qui avait lieu à Louresse le dernier dimanche de mai). Elle était mignonne, blonde, bouclée, avec un drôle de petit chapeau en tissu et une robe à cerises, deux grands yeux bleus avec de grands cils (dessinés). Hélas, je l'oubliai sous la pluie : ses beaux yeux bleus avaient dégouliné sur ses joues !... Tristesse. Larmes.
En 1930, papa emmena maman à l'Exposition Coloniale. Argoulon, toujours facétieux, me dit  : « Demande à ta maman de te rapporter un petit frère nègre », ce que je fis... Et maman me rapporta un petit baigneur noir comme du cirage...
Enfin, considérant que nous grandissions, maman nous fit venir, des magasins du Louvre à Paris, pour Noël, une poupée « dormeuse, articulée » : deux petites sœurs, celle d’Anne habillée en rose, la mienne en bleu. Ce furent nos derniers « enfants ». Suivirent une dînette en faïence, (vrai petit service de table très complet), puis des lits : pour Anne, un en bois avec armoire et petit fauteuil. Pour moi ce fut différent. En effet, à la distribution des prix (j'avais 7 ans je crois) je devais chanter seule une chanson qui nécessitait une poupée et un petit lit bleu. Maman me repeignit en blanc son ancienne « bercelonnette » très gracieuse et me la tendit de satin de coton bleu. C'était très joli. Et je chantai, sur la scène, sans complexe  :
Refrain : « Elle dort un peu / ma pauvre poupée / bien enveloppée / dans son beau lit bleu ! » 
1 « Ne faites pas de bruit / ma poupée est malade.
Pour avoir à la nuit / fait une promenade.
J'aurais dû me fâcher / contre cette méchante.
Et de force coucher / la désobéissante »
2 « J'ai beaucoup de chagrin / je suis bien inquiète.
Car notre médecin / a secoué la tête.
Un refroidissement / a-t-il dit / est la cause
Du mal de cette enfant / Il faut qu'elle se repose ! »
Je fus très applaudie et me pavanai comme un petit paon, ce qui me valut les gros yeux de maman !
Au Noël suivant j’eus un petit landau beige, puis à ma 10e année un beau jeu de dames (que j'ai toujours) mais je ne croyais plus au Père Noël depuis longtemps... D'ailleurs maman n'aimait pas le Père Noël et nous disait que c'étaient des cadeaux du Petit Jésus. Mais pour que les cadeaux puissent être déposés, il fallait que nous cirions nous-mêmes nos galoches (dur travail ! ) avant de les disposer dans la cheminée. En plus d'un jouet, nous avions une orange et des Petits Jésus en sucre, traditionnels.
Avec quoi jouait Bernard ? Avec des billes bien sûr, en terre ou en verre multicolore, et des « billons ». Avec des toupies  : il en avait eu une grosse, belle, en métal, qui chantait en tournant. Il était expert à lancer avec une ficelle des « moines », ces petites toupies de bois que les garçons gardaient dans leurs poches. À la maison, il aimait le « mécano » et en eut beaucoup de boîtes. Il réalisait de belles choses !... Avec des caisses, des rondelles de bois, il fabriquait des chariots de toutes sortes, de toutes tailles... Ensemble nous aimions courir après des cerceaux (souvent d'anciens cercles de barriques qui ne pouvaient pas rouler droit, c'était plus drôle !). Si nous les filles, nous apprenions tôt à faire du canevas, à habiller nos poupées, lui apprenait à raboter des planches, à scier, pointer, peindre... Oh ! Surtout, ne pas provoquer la colère de papa en égarant un outil !... ou en le rangeant sale...


Autres jeux tout simples.
Jouer « au loup », toutes sortes de jeux de « loup », à « chat perché », à cache-cache bien sûr, jeux tout à fait habituels : et c'était facile de se poursuivre, de se percher, de se cacher... dans les grandes cours, les hangars, les écuries, caves...
Jouer à saute-mouton, aux cavaliers, à la « brouette » (l'un tenant les pieds de l'autre qui devait avancer sur les mains), aux sauts d'obstacles ou en longueur, ou du haut des marches de l'escalier du grenier... c'était aussi notre lot quotidien à la maison (les rondes étaient réservées à l'école).
Nous cherchions des escargots pour faire des courses d'escargots, chacun essayant d'appâter au mieux son « cheval » par des friandises « escargotiques » ...
Il nous arrivait aussi (mais plutôt en cachette) d'attraper des poules et de les « endormir ». C'est très facile : prenez une poule, coincez lui la tête sous l'aile, faites-la tourner vivement à bout de bras, posez-la par terre  : elle ne bouge plus ! Il lui faut de longues minutes pour sortir de sa torpeur et s'ébrouer. Nous attendions son réveil en comptant : lequel fera dormir le plus longtemps son volatile  ??
Nous aimions aussi faire des bulles de savon. Mais attention ! Il fallait d'abord râper finement du savon de Marseille et le faire fondre dans l'eau. Puis aller au pailler choisir de jolis brins de paille de blé (plus ferme que la paille d'avoine) qui ne soient ni cassés ni aplatis. Enfin les tailler à la bonne longueur. Alors seulement on pouvait envoyer de belles bulles de savon vers le ciel, éblouis, rêveurs ...
Les garçons qui avaient toujours un petit couteau dans leur poche taillaient des branches de sureau, en retiraient la moelle, les transformaient en sifflets ou en sarbacanes « pour faire enrager les filles ».
Pendant nos promenades, nous faisions de la musique avec la tige des fleurs de pissenlits, de mignonnes mini-chaises avec des brins de jonc ; on tirait de grandes lianes de viorne fleurie pour se faire des couronnes et des traînes de mariées, on soufflait sur les graines de pissenlits. A la maison, au retour, on sculptait marrons et pommes de terre... On collait de jolies feuilles mortes sur des papiers d'emballage, on découpait de fins napperons dans le « papier d'étain » du chocolat, dûment lissé et soigneusement plié, on découpait aussi des figurines dans les catalogues de La Redoute, ou de la Belle Jardinière. Et tous ces trésors étaient précieusement rangés dans la « boîte à chat », avec... un petit moineau mécanique que je « remontais » avec volupté et que je ne me lassais pas de voir picorer ! Je l'ai eu longtemps, mon petit oiseau... Qu’est-il devenu  ??
Encore de petits jeux tout simples.
Nous passions de longs moments à répéter comme des petits fous, à toute vitesse, avec force fous rires :
- Ton thé t'a-t-il ôté ta toux  ?
- Si 6 scies scient 6 cyprès, 606 scies scient 606 cyprès.
- Il a tant plu qu'on ne sait plus quel jour il a le plus plu.
Pince-mi, Pince-moi, sont deux petits enfants. Pince-mi tombe dans la rivière. Qu'est-ce qui reste ?... Pince-moi ! (exécution immédiate !) cris, poursuites...
Un chasseur sachant chasser doit savoir chasser sans son chien.
Adapté par le cordonnier  : Un chasseur sachant chasser doit se chausser chez un chausseur sachant chausser.
Les chemises de l'archiduchesse sont-elles sèches, archi-sèches ? Pour redire cette phrase avec adresse, il ne faut pas que la langue soit sèche, car, si vous bafouillez, c'est qu'elles sont encore mouillées. Alors vous répétez... Et... nous répétions !!
Ou encore, plus spécifiquement Louressois  :
Petit pot à beurre, quand te dépetitpotàbeurreras-tu ? Je me dépetitpotàbeurrerai quand tous les autres petits pots à beurre se dépetitpotàbeurreront.

Ou - Grosse grole grise, quand te dégrossegrolegriseras-tu ? Je me dégrossegrolegriserai quand toutes les autres grosses groles grises se dégrossegrolegriseront. (un gage pour celui qui n'arrivait pas à le dire sans bafouiller !) (grole = corneille).

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