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La cour.
Elle était grande, entourée de bâtiments de tous côtés, sablée avec du sable jaune « coquiller », que « les hommes » allaient chercher à grands tombereaux dans les carrières de la route de Rochemenier, une fois par an  (?). Cela faisait une belle surface, claire et joyeuse, couleur du soleil même sous la pluie ! C’était notre terrain de jeux. C'était là aussi qu'évoluaient commis, chevaux, charrettes. Une seule entrée, par le portail, si bien que la cour était vite souillée de foin, de paille, de crottin, de boue apportée par les roues... Alors maman balayait chaque matin devant la maison et le dimanche « les gars » faisaient le grand ménage, à grands coups de « balai de bronde », traçant de jolies courbes sur le sable. On n'osait plus y marcher ! Ils devaient aussi vider la caisse à ordures parfois nauséabonde mais pas forcément débordante parce qu'alors on jetait peu de choses : tout ce qui pouvait être utile était mis de côté, bouts de cuir, de bois, boîtes de conserves... pour réparer outils, sabots, jouets, harnais ... « Ça peut toujours servir ». Les épluchures étaient données aux lapins.
Ainsi, le dimanche, la cour était belle, avec sa tonnelle (notre coin préféré, notre « résidence d'été »...), ses jardinets toujours joliment fleuris par maman, ses deux palmiers qui grandissaient devant les chambres au milieu d'un petit massif de clarkias, anémones, salvias entourés de buis taillé, ses caisses de lauriers roses où maman réservait... quelques petites orties pour menacer nos mollets le soir, quand nous traînions pour nous coucher !
En octobre, le haut de la cour était parfois recouvert de pieds de haricots blancs, arrachés aux champs et qu'on étalait là pour qu'ils finissent de sécher. On les tournait et retournait. De « grenots » demi-secs, il devenaient ces « pois » bien secs qui nous régalaient tous les mardis et vendredis soir ... Enlevées racines et tiges, restaient les grains qu'on balayait, passait au « moulin à sasser » (les enfants tiraient la « riblette ») pour les débarrasser progressivement des poussières, sable etc... Enfin, en hiver, à la veillée, tous autour de la table, « on triait les pois », un par un, pour ne pas croquer de cailloux !
La cour était le « forum » de la famille, le lieu où se croisaient, s’interpellaient, discutaient tous ceux de la maisonnée, clients, voisins, visiteurs, bohémiens venant faire signer leurs « carnets », patron, enfants, personnel... Nous jouions beaucoup dehors, balle, cerceau, trottinette, chariot, petite charrette à laquelle nous nous attelions tour à tour pour tirer à fond de train les deux autres, jeu « au loup », à saute-mouton... et même le « croquet » certains dimanches de beau temps ! Je me revois dansant et tournoyant dans la cour quand Mr Béritault, le charpentier, « carillonnait » une fête, un baptême, un mariage ... en tapant sur la cloche, dans le clocher. Il n'y avait ni disques, ni radio, ni télé ... aucune musique à la maison, alors le carillon me faisait danser. Parfois avec un balai ! C'était la fête !
Nous aimions aussi beaucoup chercher des fossiles dans le sable coquiller, surtout dans les gros tas quand on en apportait du nouveau. Des perles, des coquillages, parfois de grosses ammonites. Quelles merveilles ! Chacun cachait les plus belles dans sa « boîte à chat »...

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