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Oui, bien mal logés !
Oh oui ! Nous étions mal logés ! Et maman
était la première à en supporter les conséquences.
Peut-on imaginer aujourd'hui une cuisine sans eau, sans évier
(même pas une « pierre à eau »
pour évacuer les eaux sales), sans cuisinière, sans
glacière ni, bien sûr, frigidaire !?
Il fallait aller chercher chaque seau deau à la pompe
(pomper comme les shadoks !), lapporter à bout
de bras. Il fallait aller jeter « sur les fleurs »
l'eau de lavage des légumes et l'eau de vaisselle. Il fallait
aller porter « au frais » dans la petite
cave au fond de la cour, les restes de repas, le beurre, le fromage,
les fruits... Voire des casseroles de soupe, mettre tout cela
dans un « garde-manger » tendu dun
très fin grillage pour que « les mouches n'aillent
pas dessus ». Il fallait aller dans l'une ou l'autre
cave chercher des bouteilles pour les clients et visiteurs, ou
« tirer à la canette » des litres
de vin courant pour en faire du « demi-vin »
utilisé aux repas. Il fallait aller dans la buanderie chercher
poêles à longue-queue, grosses marmites noires, trépieds
etc... qui ne pouvaient trouver place dans la cuisine. Il fallait
aIler tout en haut des cours, dans « le grand jardin »,
étendre le linge ou chercher salades, choux, carottes,
radis, persil etc
Il fallait grimper dans le billard pour
servir pommes et noix, dessert habituel... Et ceci, quotidiennement.
Pauvre maman, elle en faisait des kilomètres entre ses
murs ! Inutile de dire que nous-mêmes étions
souvent mis à contribution : « Cours chercher
ceci ! Descends cela à la cave ! »...
L'organisation domestique, sauf pour les chevaux, n'était
pas rationnelle du tout. (cf. plan)
Les caves étaient loin. Les jardins aussi. Dans le « grand
jardin » poussaient les plus gros légumes, choux,
carottes, oseille, haricots verts, petits pois etc... (Je me demande
bien comment on pouvait « arroser » quand
il n'y avait là-haut ni robinet ni bassin). Au fond de
ce jardin une haie de petits pruniers sauvages dont certains donnaient
de petites prunes violet- foncé avec lesquelles maman faisait
d'incroyablement délicieuses confitures ! J'en aurais
mangé des pots entiers ! Derrière cette haie,
se faufilait un mini « chemin creux » qu'on
appelait « les petits fossés » qui
nous menaient directement à la ferme du Plantis, i.e. à
l'ancienne maison de maman. On pouvait passer par là pour
aller chercher le lait, mais il y faisait parfois bien sombre.
Il est vrai qu'en prenant la route, nous devions passer près
de profondes caves encore moins rassurantes ...
Le « petit jardin » était en montant,
à gauche, en face de lécurie. Il était
plutôt réservé aux salades, radis, persil...
et il avait une treille ! Un pur délice !... Mais
il cachait aussi deux choses très importantes : un
bassin pour laver à l'eau de pluie les lainages et tissus
fins, et... les « cabinets », les seuls
de la maison ! Il fallait aller jusque-là ! Mais
quand lenvie était trop pressante, maman nous autorisait
à entrer dans l'écurie de « Sapeur et
de la Pelote », qui nous regardaient paisiblement de
leurs gros yeux bienveillants... Le soir, dans la nuit noire,
nous allions tous les trois ensemble !...
Et les ordures ? Pas de poubelle, pas de ramassage, mais dehors
une « caisse à ordures » que
les commis avaient ordre de vider tous les dimanches matins quand
ils balayaient la cour.
Heureusement, il y avait dans la cour le jardinet à fleurs
avec sa grande volière, les lauriers roses, et la « tonnelle »
couverte de vigne vierge, seul coin ombragé dans cette
grande cour en plein soleil !