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La cheminée de la cuisine.
C'était vraiment l'âtre, le foyer, le cur de
la maison, le seul point chaud ... le centre.
C'est là que tout se passait, que grand-père Charles
était assis dans son fauteuil haut, que les chats dormaient,
qu'un chien désobéissant se chauffait, qu'un client
attendait papa, que je révisais mes leçons
Bref, on s'y bousculait !
Mais c'est surtout là que maman oeuvrait et préparait
de si bons repas, à même la flamme ou sur les
charbons. Elle allumait le feu dès le matin (parfois il
restait des braises de la veille) avec une « javelle »
(un petit fagot de sarment de vigne) ou avec de la « bronde ».
rapportée des bois de Corbeau, ou, quand tout cela manquait,
avec une piquante « bourrée d'épines »,
cadeau des haies quon taillait.
Sur la flamme, une ou deux marmites à trois pattes étaient
vite suspendues (pour leau chaude, pour les pommes de terre
des poules ou des chiens...) et ça chauffait rapidement !
Bientôt les braises remplissaient les deux « fourneaux
à charbon » sur les côtés, la soupe
chauffait, les légumes aussi (je me rappelle ma première
sauce béchamel !). Bientôt le gril sort pour
griller harengs, saucisses, boudins ou biftecks. Ou bien maman
va chercher sa poêle toute noire à longue-queue qu'elle
installe sur un trépied où un « tint-poêle »
accroché à la crémaillère, et une
bonne odeur d'omelette envahit la maison ! Tous ces instruments
de cuisine sont lourds et difficiles à manuvrer parce
qu'ils sont pleins de noir de fumée et salissent mains,
vêtements, torchons... Maman y est habituée et semble
une grande-prêtresse lumineuse dans l'éclat des flammes.
Cest à la cheminée qu'on se chauffe pieds
et mains gelés, qu'on se sèche le dos si on a « mouillé »,
qu'on grille les tartines le matin ou les pommes, qu'on fait jaillir
des étincelles pour le plaisir (ces régiments de
« petits soldats » disait grand-père),
qu'on chauffe de l'eau, quand il fait vraiment trop froid, pour
les bouillottes le soir...
C'est dans sa cheminée que maman fait cuire les CONFITURES !
Quel travail ces confitures ! Mais il ne faut pas laisser perdre
de fruits... D'abord de longues heures de cueillette (pas toujours
facile, mais maman aime grimper dans les cerisiers). Puis de longues
heures d'épluchage, avec grand-père et éventuellement
nous le jeudi.
Puis nettoyage du grand chaudron de cuivre (réservé
à cet usage) avec du papier de journal, du gros sel et
du vinaigre ! Il doit être impeccable dehors comme dedans.
Il est pendu à la crémaillère : même
poids de sucre et de fruits.
Enfin cuisson périlleuse, car les flammes ne sont pas dociles
comme nos plaques électriques. Pour être bonnes,
les confitures doivent cuire vite mais ça déborde
comme du lait sitôt qu'on rajoute un sarment. Il ne faut
pas les quitter des yeux ! Il suffit que quelqu'un appelle
ou arrive. Crac ! Tout déborde à flots dans
les flammes du même coup ravivées ! Ça
sent bon le caramel, mais le chaudron dégoulinant et poisseux
est à moitié vide, après tant de travail !
Et il sera si difficile à nettoyer !
Quant à la gelée de groseille, il faut absolument
se fatiguer à la faire passer à travers un linge
pour garder sa bonne réputation de maîtresse de maison
!
Les pots couverts d'une rondelle de papier blanc trempé
dans l'eau de vie, puis d'un autre papier attaché avec
du raphia, sont rangés sur le haut des buffets.