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Famille et domestiques, nous étions fort mal logés.
Le personnel acceptait des conditions impensables aujourd'hui.
Papa ayant fait construire une belle écurie, en 1935, de
12 stalles, avec grenier à foin, réserve d'eau de
pluie, 2 box, un hangar etc. Les chevaux étaient mieux
logés que les habitants. Au bout de l'écurie, il
y avait « la chambre des commis », murs
nus, sol cimenté, pas de porte parce quArgoulon devait
pouvoir entendre le moindre bruit inquiétant chez les chevaux,
deux lits de fer, une armoire, un coffre à avoine pour
les chevaux. Partout à la traîne, des sabots, des
souliers, des « caramboles », un beau désordre,
une glace, une bouteille d'eau de Cologne
« Les
gars » se lavaient dehors à la pompe, ne se
rasaient que le dimanche
S'il y avait un 3ème commis,
un 3ème lit en fer l'attendait dans la « chambre
au harnais » près de l'écurie de Sapeur
et de la Pelote
Yvonne, puis Andrée, n'étaient guère mieux
loties. La « petite bonne » dormait dans
un 4ème lit de fer
à la buanderie, près
de la cuisine. On disait « la boulangerie »
parce qu'il y avait un ancien four à pain
Elle avait
droit à une moitié d'armoire (cf le plan) et à
une petite table de toilette. La grande table au pied de son lit
était encombrée de tout un tas de choses, y compris
un grand moulin à café venu de l'épicerie
de ma grand-mère, et toutes les chaussures de la famille,
les cirages, les graisses à cuir, les poêles, marmites
etc. Maman exigeait là un ordre impeccable par respect
pour Yvonne (ou Andrée). Mais il y avait aussi dans cette
« chambre » la grande machine à laver,
haute sur pattes, dont on faisait tourner le tambour d'abord à
la main puis à l'aide d'un moteur qu'on mettait en route
en tirant sur la courroie
Il y avait les lessives, les « cuards »
(grands bacs à laver en bois), les « planches
à laver » sur lesquelles on frottait le linge,
une batterie de seaux
Tout cela propre et rangé,
mais les sacs de linge sale étaient là aussi !
Et la « petite bonne » était bien
isolée
Car mes parents et nous habitions l'autre bâtiment. C'était
certainement beaucoup mieux. Mes parents dormaient dans la première
chambre (cf plan) et nous trois dans l'autre, qui contenait deux
grands lits : Bernard en occupait un, Anne et moi l'autre.
La chambre de mes parents était bourgeoisement meublée :
bois de lit sculpté « à boules »,
avec haute table de nuit et armoire à glace, table de toilette,
petite chaise près de la cheminée, où maman
allumait du feu très exceptionnellement, quand il faisait
vraiment froid, le temps de nous déshabiller et de chauffer
à la flamme nos chemises de nuit. Et puis
« vite
au lit », sous les édredons de duvet, les pieds
dans un sac de flanelle
Dans notre chambre, deux grandes « armoires-garde-robes »,
qui me semblaient énormes, un peu effrayantes, une tapisserie
à fleurs où je voyais partout des têtes de
bonshommes, une table de toilette (pas d'eau courante nulle part !)
et bien sûr, les pots de chambre dans les tables de nuit
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Mal logés (2)
Dans la chambre de mes parents, une porte donnait accès
à l'escalier de « la cave » secrète,
celle où dormaient les meilleures bouteilles, entre autres
le « vin de maman » du Rabelais de 1933,
dont nous avons bu l'ultime bouteille pour fêter les 65
ans de Claude et les 75 ans de Bernard. Il était légèrement
cassé mais quelle couleur ! En haut de l'escalier,
derrière la porte, sur un petit palier, sur un guéridon
rond, un petit fourneau à alcool pouvait chauffer un café
pour papa quand il devait partir de bonne heure en Normandie
Nous étions donc bien pour dormir dans nos deux chambres
jusqu'au jour où, en 1930 ou 31, grand-père Charles
tomba paralysé. Pas d'autres solution que de l'installer
dans notre chambre où il resta jusqu'à sa mort en
1934. A l'automne 1933, dans le deuxième lit, y fut adjoint
Grand-père de lAleau qui décidément
ne pouvait plus rester seul chez lui, bien que maman allât
lui faire son ménage en lui portant de la soupe plusieurs
fois par semaine, en vélo bien sûr
Les deux
grands-pères étaient donc là, près
de mes parents, demandant une surveillance nuit et jour. IIs moururent
à peu de distance l'un de l'autre, dans la même pièce,
l'un étant père de papa, l'autre grand-père
de maman. Il n'y avait pas alors de maison de retraite et il n'était
pas question de mettre ses parents « à l'hospice »
avec les « nécessiteux » .
Et nous alors ??
Eh bien ! Nous étions déportés à
la cuisine, dans la fameuse alcôve agrandie en l'occurrence,
afin d'y loger deux lits, un pour Bernard et un grand pour Anne
et moi. Du coup nous n'étions guère mieux lotis
que le personnel. C'était un coin sombre, très sombre,
où l'on ne pouvait rien faire d'autre que dormir. Un rideau
rouge en fermait l'entrée. Nous devions nous habiller dans
l'étroite « venelle », souvent réveillés
par les commis qui venaient déjeuner, plus souvent par
maman qui allumait le feu dans la cheminée et faisait chauffer
sur l'un des « fourneaux à charbon »
la soupe odorante (que j'avais appris à aimer !).
Oh ! Le bonheur sous les édredons d'entendre le pétillement
du feu, de voir à travers le rideau les grandes flambées
de sarments ! C'était pur bonheur ! (Je rêve
encore d'avoir un jour mon lit près d'une cheminée
pleine de tisons brûlants
) Malheureusement les conversations
bruyantes et gauloises des « hommes » que
nous ne pouvions pas ne pas entendre nous ramenaient vite à
la réalité
Alors, la cour nous séparait de nos parents la nuit, mais
nous avions Yvonne ou Andrée de l'autre côté
du mur.
En fait un des gros inconvénients de notre habitat était
cette séparation en deux : les chambres d'un côté,
le reste de l'autre. Si bien que si maman était dans la
cuisine, elle ne pouvait pas entendre un cri ou un appel des pauvres
grands-pères ou d'un enfant malade
C'était
une réelle difficulté.
En outre le bâtiment salle à manger-bureau-cuisine-buanderie
était très vieux, sans le moindre confort :
ni eau courante, ni chauffage naturellement, sauf la cheminée.
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