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Processions : la Fête-Dieu.
C'étaient des processions qui se préparaient plusieurs
jours à l'avance.
Les femmes sortaient du grenier leurs banderoles et guirlandes,
fabriquaient des roses en papier, allaient chercher du lierre
dans les bois, préparaient des potées de fleurs,
repassaient les robes blanches des filles, et même les toilettes
de Communion solennelle etc...
Les enfants de Marie sortaient les bannières de velours,
les brossaient, les raccommodaient, les « défripaient »
à l'air, après leur long sommeil dans le grenier
de la « Cure ». Elles préparaient
les corbeilles pour les fleurs, amidonnaient dentelles et broderies
des surplis denfants de choeur. Avec l'aide des hommes,
elle dressaient le « dais » sous le porche
de l'église, y fixaient la garniture « or et
satin blanc », impeccable, faisaient le grand ménage
de l'église, tandis que les hommes balayaient lallée.
À l'école libre, la maîtresse sortait de son
côté les petites bannières, les légers
« oriflammes », peints de fleurs, de figures
de saints (Sainte-Thérèse, Jeanne d'Arc, Bernadette...)
que chaque fille devait tenir en main. Puis le samedi après-midi,
munis de paniers, nous passions dans les maisons faire la quête
des pétales de fleurs, des roses de préférence,
des pivoines roses ou blanches (« pas rouges surtout
! ça tâche !» Dommage : il y en avait
tant !), des marguerites etc... Nous nous précipitions
d'abord vers les maisons les plus fleuries et... les plus accueillantes.
Le dimanche matin, de bonne heure, on entendait les hommes mis
à contribution pour dresser les structures : reposoir
et poteaux de bois auxquels seraient attachés les guirlandes
et, tout en haut, des « étendards »
qui flotteraient. Pics, pioches, pelles, marteaux... tout travaillait
dans une joyeuse fièvre
les femme donnaient les ordres
: un clou ici, un crochet là, attendant impatiemment
de pouvoir déployer leurs décorations. Qui aurait
la plus jolie maison pour le passage du Saint-Sacrement ?... Celles
qui se trouvaient « sur le passage » avaient
assez à faire avec leur propre maison. Les autres couvraient
le reposoir de fleurs et bougies, dessinaient des tapis de feuillage.
Les enfants regardaient, excités.
Si la procession allait vers Launay, maman avait à décorer
tout le mur de la maison de grand-père, et y attachait
des longues bandes de « Tarlatane » blanche
décorées de « lignes grecques »
roses ( travail fin et soigné de Madame Drouet, la brodeuse
). Mais c'était Madame Priou qui avait une longueur impressionnante
à décorer !!
Pour le 2e dimanche, papa donnait ordre aux commis de balayer
impeccablement l'allée du parc, de tailler quelques branches
sauvages ... Maman accrochait fleurs et guirlandes dans les buis.
Cette fois-ci c'étaient les gens « du bas du
bourg » qui devaient décorer leurs demeures.
Toute la commune était là pour la procession :
en deux rangs les petits enfants devant, puis les jeunes écoliers,
puis les grands en tenue de communiants. Là au milieu de
la route avançait Monsieur le Curé, sous le « dais »
porté par 4 hommes, tenant le Saint-Sacrement dans lostensoir
doré, quun enfant de chur encensait sans arrêt,
tandis que des petites filles tout en blanc, couronnées
de fleurs, lançaient des pétales sur les pas de
Jésus ... Parfois quelques tout petits avaient des ailes
d'anges, mais il n'y avait plus de déguisements, comme
le petit costume de zouave que papa portait en 1900...
Grande fête pour tous ! Joie, fierté, ferveur
sur les visages, solennité. Cette entrée solennelle
du Seigneur dans son parc était la gloire de maman ! Son
honneur, sa joie très profonde.