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Premiers souvenirs.
« Neine » (Madeleine) veut pas manger sa soupe ! ». Cette bonne soupe de maman, pleine de légumes, mijotée devant le feu dans la cheminée, bien beurrée, cette bonne soupe que tous les autres avalaient avec plaisir, moi, toute petite, je n'en voulais pas !!
Hélas ! J’étais placée près de papa qui ne supportait pas qu'on lui résiste… « Mange ta soupe ! - Non… » - «Tu vas manger ta soupe ? – « Non, Neine veut pas manger sa soupe ! » « Mange ta soupe ou maman te met dans l'escalier du billard » - Je pleurais mais ne mangeais pas. « Maman ! dans l'escalier ! » Et maman obtempérait… m’asseyait dans le noir sur les dernières marches ! me disant : « Je vais venir te chercher, n'aie pas peur, mais il faudra manger ta soupe ». Elle fermait la porte… Je pleurais… Je pleurais encore dans mon assiette, mais il fallait bien la vider, cette assiette ! Il le fallait !…
Maintenant j'adore la soupe !
C'est un de mes plus vieux souvenirs.

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Parmi les tout premiers souvenirs :
C'est l'été. Les foins. Papa, mon immense papa, est là, dans le pré, chapeau de paille sur la tête, fourche en main. C'est la pause pour se rafraîchir. Je suis là, moi aussi, bien jeune, bien petite près de lui. Papa me dit : « Mets-toi debout devant moi. Raidis tes bras, bien dur, bien ferme. Ne plie pas les coudes. Tiens bon ! Et hop ! Mes poings dans ses grandes mains, il me fait passer par-dessus sa tête ! Et je retombe derrière sur une « veilloche » (petite meule de foin). Quelle fierté ! quelle joie ! Quelle émotion ! Merci papa ! Encore !
Avec Argoulon, c'est la « pirouette » : je lui tourne le dos, je me penche et passe mes deux mains entre mes jambes. Il attrape mes mains, me soulève en même temps, et hop ! par une belle pirouette, je me retrouve sur mes pieds ! Super ! Mais bientôt, maman me dira : « Tu es trop grande maintenant »…
Un matin, maman nous réveille en nous disant : « Habillez-vous vite. Papa a une belle surprise à vous montrer ! ». Une surprise ? Nous sautons du lit ! C'était un amour de petit poulain, né la nuit, dans un box, si mignon, si mignon, tout fragile et trébuchant sur ses petites pattes raides comme des bâtons. Et sa mère, avec ses grands yeux doux, le lèche, le lèche… Nous l'admirons, le caressons pendant une semaine, suivons ses rapides progrès. Et puis… « ils » partent au pré !

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Premiers souvenirs.
La mort de Minet.
C'est un autre très ancien souvenir. Nous avions toujours à la maison plusieurs chiens, surtout des chiens de chasse de différentes espèces, et aussi plusieurs chats, à cause des souris, des rats. Les chiens restaient au pailler, attachés, parce que la grand’route était dangereuse et que le portail restait souvent ouvert. Seul le vieux Rouflot au poil hirsute et doré avait le droit de dormir au soleil, devant la cuisine.
Les chats, eux, n'avaient pas le droit d'entrer dans la maison, et maman leur faisait la guerre car ils allaient trop souvent faire leurs besoins sous les lits de l'alcôve (pourquoi ??). Un seul pouvait rester dans le coin de la cheminée : le vieux Minet. On le caressait. Il ronronnait… Mais un jour (était-il malade ? blessé ? s'était-il pris la patte dans un piège ?). Papa dit : « Argoulon, tu nous débarrasses de ce chat, il souffre ». Aussitôt dit, aussitôt fait. Minet dormait dans le grenier à grain où il entrait par une « chattière ». Argoulon le guette. Pan ! Pan ! Et le pauvre Minet, dans sa jolie fourrure noire, jaune et blanche, culbute dans l'escalier. Peur. Gros chagrin. Premier contact avec la mort d'un être vivant souvent caressé… (quand maman tuait poules ou lapins, elle le faisait hors de nous. Quant au gibier de papa, il arrivait tout mort mais… je ne le connaissais pas !).
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Autre mauvais très vieux souvenir : les rats
Un été, invasion de rats, d'énormes rats ! Il y en avait partout ! Dans les écuries et les greniers, dans les coffres à avoine… Le matin il y a parfois plusieurs rats de piégés dans des espèces de cages. Mais qu’en faire ? Les chats sont débordés, écœurés… Alors les commis font un feu de paille avec de l'essence et jettent les rats dedans.
Cauchemar !
Mais pourquoi papa n'a-t-il pas recouru à du raticide ?? Je me le demande encore…

Un flash drôle : les poules saoules !!
Maman faisait de délicieuses liqueurs à la framboise, au coing, au cassis… Même nous, les enfants, avions le droit d’y goûter au fond d'un petit « verre à liqueur ». Un jour, nous portons aux poules « qui aiment cela » dit maman, les grains de cassis qui avaient macéré dans l'alcool. Les poules effectivement se jettent sur cette aubaine et avalent… Mais bientôt les yeux chavirent, les crêtes deviennent violettes, les poules titubent !... Quels rires ! Mais surtout le coq !! Ivre, bousculant, la crête de côté comme une vieille casquette, il a tout d'un ivrogne, d'un « vieux bonhomme saoul »… C'était trop drôle !

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