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Et la famille ? Oncles, tantes, cousins ??...
Papa et maman étant l'un et l'autre enfant unique, la famille
était réduite. Pas d'oncles ni de tantes. Pas de
cousins germains !
Donc à Saumur, les Courjaret : Benjamin III et Mathilde
née Marcheteau au Vaudelnay. Ils passaient ainsi parfois
à Louresse, pleins de gâteries, en allant voir leur
fermier André Métivier à La Bournée,
dans leur grande maison avec chapelle (dite autrefois château
du Sablon... mais un peu délabrée déjà).
Nous allions parfois chez eux, place de « L'Arche Dorée »
à Saumur, quand maman nous emmenait le samedi pour acheter
manteaux ou chaussures. Tante nous faisait goûter abondamment,
en attendant que papa vienne nous prendre. Son « boudoir
chinois », plein de dentelles et de photos, une fenêtre
curieuse ouverte sur la place, nous attiraient toujours... Mais
surtout ne pas toucher !! Leurs deux grands fils, Pierre
et Jacques, n'était pratiquement jamais là... C'était
la seule famille de maman qui lui était très attachée.
Et puis, avec sa tante, elle pouvait parler de certaines « anciennes »
du Cours Dacier », de ses ex-professeurs, de la prochaine
rencontre de « l'amicale », seule sortie
qu'elle revendiquait auprès de papa. Nous entendions ainsi
les noms des bonnes familles de Saumur... et des environs, qui
avait leurs filles au Cours Dacier. Tante était en effet
« correspondante » dAnne pensionnaire
et gardait le contact avec « la chère maison »
(quAnne n'aimait pas du tout !). Ces dames parlaient
aussi chiffons, mode, nouveautés dans les vitrines de « la
Glaneuse », magasin chic ou s'habillaient déjà
mes grands-mères ! Pour maman, une heure chez Tante
de Saumur était une vraie récréation pendant
laquelle elle pouvait oublier le poids de sa lourde et rustique
maisonnée. Vers 1936, Jacques, très jeune interne
des hôpitaux de Paris, vint présenter à maman
sa fiancée, Madeleine Letreau, nivernaise, elle-même
médecin. Maman, bien sûr, ouvrit la salle à
manger qu'elle avait pris soin de chauffer avec la cheminée
dont le « tablier » qui se levait ou s'abaissait,
permettait de chauffer vite et de régler très facilement
les flammes... Maman était heureuse. Jacques n'était-il
pas son filleul et son petit cousin ?
Ce jeune couple d'étudiants en médecine très
chics, cette jeune fille mince et élégante presque
médecin... Tout cela me laissa longtemps rêveuse,
m'ouvrant des horizons insoupçonnés... Je questionnais
beaucoup maman. Papa aurait aimé que je fasse aussi des
études de médecine, mais je déteste soigner !
(Jacques et Madeleine se marièrent en 1940 en la petite
chapelle de La Bournée, devant les statues des saints-patrons
de nos communs ancêtres : Saint André et Sainte
Marguerite. C'était la guerre. Madeleine était en
strict et joli tailleur blanc. Que de nouveautés pour moi
! C'était toute la famille de Maman...
Parfois cependant émergeait un prêtre, un grand fort
homme, qui demandait l'autorisation de venir « saluer
son aïeule ». C'était le chanoine Ballu
et l'aïeule était Marguerite Morisseau, épouse
de Louis Courjaret, la vieille grand-mère dont le portrait
encadré trônait au-dessus du piano. Maman tenait
beaucoup à ce portrait et le fit restaurer après
qu'un chat, enfermé par mégarde, leut déchiré.
La vieille grand-mère est toujours avec nous ! Mais
je me demande toujours comment ce chanoine Ballu se raccrochait
à la famille, de même que le juge Gabriel Chenuau
(autre portrait). Ils nous sont arrivés par les Bonvalet
de l'Aleau.
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Papa n'avait guère de famille non plus, quoique sa mère
Lucie Jaunault eût trois frères et surs :
Marie épouse de Victor 1er Renault à Doué,
celle qui tenait « l'Hôtel de la Gare »
(à Doué) et fonda la laiterie, avec son mari d'abord,
puis avec son frère Jean 1er Jaunault qui, célibataire,
ne la quitta pas après son veuvage. C'était « Tante
de la gare ». Ainsi Victor II Renault était-il
cousin germain de Papa, mais son aîné de 7 ans.
4e Jaunault : Amand de Louresse, mari de « Tante
marraine », frère de Jean Jaunault que vous
avez connu et qui aimait beaucoup maman. Avec cette famille-là,
l'échange de services était permanent, mais peu
de loisirs communs. Telle était la famille maternelle de
Papa.
Chez son père, ils étaient quatre aussi, deux garçons,
deux filles...
Grand-père Charles qui avait 30 ans à la naissance
dEmile.
Armand, « Tonton de Rochemenier » et sa
femme Désirée Gigot. Lui était bon mais avait
un air sévère ou plutôt triste, ce qui s'explique
sans doute par le fait que leur fils unique Armand II avait été
tué à la guerre dès 1914. Elle, charmante
et souriante, sous son bonnet rond d'une impeccable blancheur.
Elle garda toujours ses vêtements noirs de deuil après
la mort de son fils. Le dimanche après-midi c'était
parfois un de nos buts de promenade : « Allons
voir Tante de Rochemenier ! » . Nous étions
toujours bien accueillis. Mais nous aimions surtout prendre la
route de Rochemenier au moment des crêpes ou des « fredaines »
: Chandeleur (2 février) ou Carnaval ou Mi-carême.
Parce que cette Tante Désirée faisait d'incomparables
gros beignets en forme de coquilles Saint-Jacques !... Dans
sa cuisine à demi troglodytique elle avait une « huche
à pain », à farine, à beurre etc ...
Elle pétrissait légèrement et longuement
sa pâte parfumée à l'eau de fleur d'oranger.
Puis cette pâte, elle la mettait « à lever »
sous l'édredon de son lit !! « au tiède »,
à l'abri du vent. Et puis elle faisait frire la pâte
découpée qui gonflait merveilleusement. C'était
parfumé, croquant, feuilleté et moelleux ! Quelle
merveille ! « Mangez ! Mangez ! »
disait-elle en pensant sans doute aux petits-enfants qu'elle n'aurait
jamais. Parfois, elle nous invitait avec la famille Bouju de Bron
(dont la fille unique, Simone, est ma marraine).
Agathe Breton, épouse Bouju, était la petite sur
de Charles et Armand. L'oeil vif, le verbe haut, le don du commandement,
elle ne manquait pas de dynamisme et de chaleur. Mais nous n'aimions
pas l'embrasser parce qu'elle avait un peu de poil au menton !
On l'appelait entre nous Tante à Barbe. Mais elle était
sympa. Ils arrivaient tous les 3 en voiture à cheval, dételaient,
nourrissaient la bête... Salamalecs. Déjeuner...
Cette fois-ci, au niveau supérieur, dans la salle à
manger qui ouvrait sur l'autre façade. Excellente cuisine,
mais bien sûr repas trop long pour nous !
Parfois c'était nous qui allions à Bron (en auto)
! Et, le tonton Bouju étant grand chasseur, grand
pêcheur (dans le Thouet) et... grand braconnier, Tante Agathe
étant fine cuisinière, nous nous régalions
de civet de lièvre, d'anguilles aux pruneaux etc... le
tout arrosé de bonnes bouteilles... À la fin du
repas, nous allions, sans eux, saluer de l'autre côté
de la rue Tonton et Tante Boussiron ( Marie, soeur aînée
d'Agathe, 4e Breton, dont le fils unique avait également
été tué à la guerre. Les Bouju et
les Boussiron étaient fâchés, ne se parlaient
pas. Pourquoi ?? Ils habitaient l'un en face de l'autre !
(Ainsi les 4 frères et surs Breton avaient eu chacun
un seul enfant dont deux étaient mort à la guerre
de 14-18. Restaient papa et ma marraine).
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