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L'école : chez Madame Moreau.
Me voici donc chez Madame Moreau. Anne était partie en
pension. J'avais 9 ans... Je suis la 8e élève.
Ce passage radical à la « laïque »
a été une des grandes chances de ma vie.
Madame Cécile Moreau est une femme extraordinaire, la meilleure
pédagogue que j'ai jamais eue. C'est certainement grâce
à elle que j'ai pu poursuivre des études passionnantes.
Et je lui en suis toujours reconnaissante. Elle vivait seule dans
le bâtiment scolaire, avec ses six enfants dont l'aîné
avait 14 ans et le dernier... 2 ans ! Son mari, ingénieur
agronome, incapable, vivait à Milly avec ses chèvres
et ses abeilles. Il arrivait de temps en temps avec sa charrette
à mulet pleine de fagots et de bûches. Il apportait
du miel. Puis il repartait.
Madame Moreau élevait ses enfants « à
la baguette », et à la dure. Bien obligée.
Les bébés restaient couchés tant qu'ils ne
pouvaient pas rester assis, sages, sur la marche de la classe.
Les repas étaient simples : tous les soirs, bols de
chocolat et tartines. Ses enfants étaient en bonne santé,
mais il y en avait deux qu'elle supportait difficilement parce
qu'ils ressemblaient trop à leur père ! C'était
Henri laîné, et Agnès. Elle nhésitait
pas à utiliser le bâton !... L'autorité
du père manquait, mais elle en avait pour deux ! Comment
résister au regard perçant de ses yeux clairs, derrière
ses lorgnons ? Nul ne s'y risquait, assurément.
Dans sa classe, silence absolu. On entendait littéralement
une mouche voler. On devait se déplacer sans bruit, ne
rien faire tomber. Pas de prière, bien sûr, ni de
« Je vous salue Marie », mais à chaque
entrée en classe, un chant. Et tous les mardis et vendredis
nous en apprenions de nouveaux, parfois bien jolis, parfois sentencieux
:
« Le temps qu'on perd à l'école ne se
rattrape jamais
Et chaque heure qui s'envole nous prépare des regrets.
A l'ouvrage ! Du courage ! Petits et grands
Ne perdons pas notre temps pour devenir savants ! ».
D'ailleurs les journées étaient réglées
comme papier à musique. J'ai encore tous les horaires en
tête :
Lundi, mercredi, samedi, dictée.
Mardi, vendredi, rédaction.
Tous les matins, calcul mental et deux problèmes (et pas
faciles : règle de 3, rentes, intérêts,
fuite d'eau, vitesses conjuguées). Mais avant toute chose,
lecture de la maxime écrite au tableau pour la semaine,
telle : « Bien mal acquis ne profite jamais »
ou « Pierre qui roule n'amasse pas mousse »
etc.. et page d'écriture à partir de cette maxime,
avec « pleins et déliés ».
Les titres de nos devoirs devaient même être écrits
« en ronde ». C'était beau. On faisait
des expériences de science. On apprenait la couture, tout
ce qu'il fallait pour le « certificat d'études »,
y compris la gym. Les « poésies »
devaient être sues absolument par coeur, sinon nous restions
1/4 d'heure après les autres pour les étudier. Et
si un devoir était mal fait, elle nous faisait revenir
une demi-heure avant la rentrée de midi pour le refaire,
ne ménageant pas ses explications ! ni sa peine... Quand
une de 1e division avait fini sa tâche : « Va
faire lire les petits », ou « Va voir si
la 2e division a compris l'exercice »... Ainsi ma-t-elle
passé le virus de l'enseignement !! Ainsi étais-je
heureuse de travailler dans sa classe et c'est en toute sincérité
que je pouvais un jour commencer une rédaction par ces
mots : « Moi, le travail, j'aime ça ! ».
J'aimais être à l'école de Madame Moreau !
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Quelques chansons de « chez Madame Moreau ».
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L'école : Madame Moreau (suite)
Elle était coquette, frisée, d'une élégance
un peu surannée, talons hauts démodés, dentelles
sous ses blouses décole. Elle était isolée
à Louresse, reconnue par les seules familles qui lui confiaient
leurs enfants, les « rouges » ou au moins
« roses »...
Et pourtant, elle n'avait rien d'une « rouge ».
Elle avait même des convictions chrétiennes étonnantes
pour une ancienne normalienne. Une mantille blanche sur la tête,
dans ses jolis atours un peu désuets, elle assistait très
régulièrement à la messe, au fond de l'église
à droite, avec tous ses enfants et les quelques élèves
qui voulaient bien se joindre à eux : Odile, Huguette
etc... Très digne, libre, défiant à la fois
l'Education Nationale (qui, peut-être pour cela a maintenu
dans l'ombre cette enseignante remarquable) et le bloc louressois
des biens-pensants, dont toutes les filles étaient avec
Madame Clochard, tout en avant, privilégiées. Dans
les processions aussi, celles de l'école libre marchaient
devant, celles de la laïque derrière ...
Madame Moreau n'avait jamais un mot contre l'autre école
ou contre l'Eglise. Mais elle était de l'Education Nationale
et se soumettait strictement à sa discipline. Par exemple,
si elle apercevait un catéchisme dans un cartable, elle
le faisait immédiatement porter au vestiaire : « Va
mettre ça au vestiaire ! Je n'ai pas le droit de laisser
un catéchisme entrer dans la classe. Ici c'est l'école
laïque ». Et elle en était fière...
Le catéchisme ? Eh oui ! À l'école
libre, bien sûr, la maîtresse l'enseignait en classe
et parfois Monsieur le Curé venait nous dispenser la Bonne
Parole. Mais quand on était chez Madame Moreau, il fallait
aller à l'église, les garçons d'un côté,
les quelques filles de l'autre. Et l'abbé Joseph Nicolas
qui remplaçait Monsieur le Curé Ragueneau, avait
parfois bien du mal. Là aussi, il fallait savoir par cur
demandes et réponses. Hélas ! Ce n'était
pas toujours le cas, surtout chez les garçons. Alors une
punition ! « Un tel, à genoux dans le
chur ! ». Le dit « un tel »
faisait le pitre dans le dos de Monsieur le Curé, et c'était
pire... Quoi qu'il en soit, j'étais à la laïque
quand j'ai fait ma « Communion solennelle »
à 10 ans, renouvelée à 11 ans. La semaine
précédente, pas de retraite, mais du catéchisme
supplémentaire, des répétitions et les confessions
à midi, ou après 4 h.
Maman lavait bien pressenti : ce qui devait arriver
est arrivé. Papa ayant fait le pas, beaucoup d'autres parents
ont suivi, au désespoir de maman qui se sentait responsable
et coupable, ce que d'ailleurs on ne manquait pas de lui faire
remarquer ! Bientôt l'école de Mme Moreau eut autant
d'élèves que l'autre et ses succès au Certificat
d'études se multipliaient. Elle aurait bien voulu que je
lui fasse honneur en étant première, mais je ne
savais plus, en couture, par quel bout commencer le « sujet »
de ma pièce : j'ai fait et défait, perdu du
temps et des points... Qu'elle me pardonne ! Quoi qu'il
en soit, arrivée à 12 ans au Cours Dacier, je n'avais
que des 18 en 6e. À Noël on me met en 5e : je
n'ai que des 16. A Pâques on ne fait rattraper deux ans
de latin. A la rentrée en 4e, on me fait commencer le grec...
Merci Madame Moreau pour les solides bases inculquées .
Grâce à vous je me suis tout de suite imposée
en classe à Saumur et n'ai pas redouté les petites
bourgeoises et les filles d'officier. Je sortais de mon village,
mais jétais plus forte qu'elles !! Et j'aimais
étudier !
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Il y avait aussi une distribution solennelle des prix. Ce n'était
plus Edmond de Contades qui présidait, mais Monsieur le
Maire en personne.
L'estrade était dressée dans la cour de l'école
des garçons et le spectacle était commun. Mais nous
ne jouions pas ensemble : garçons et filles alternaient
pour chants et scénettes. Les chants étaient beaux
(comme les poèmes que nous apprenions dans l'année :
ainsi « La maison » ou « Le Lac » de
Lamartine, « Le Cor » ou la « Mort
du loup » de Vigny, « La retraite de Russie »
de Victor Hugo et plein d'autres de ce dernier...). Nous sentions
la beauté de ces vers, de ces chants. : j'ai même
chanté du Wagner sur l'estrade et « L'hymne
à la joie » de la 9e symphonie de Beethoven
(devenu notre hymne européen)... Ce n'était pas
de l'enseignement au rabais ! La mémoire enregistrait
cela pour toujours. Le « certificat », cétait
quelque chose, une base solide de connaissances, un « savoir
lire » et compter et raisonner impeccable, une ouverture
même à l'art, par le chant, la poésie, mais
aussi le dessin, car il y avait deux séances de dessin
par semaine le mardi et le vendredi, avec initiation à
la perspective ! Et le jeudi nous devions en faire un à
la maison : une fleur du jardin, une feuille, une tasse...
Et tout cela était noté le plus sérieusement
du monde. Et parce qu'on exigeait de nous un effort, ça
devenait un plaisir... Et je me rappelle quà des
mariages nous nous taillions un petit succès en chantant
à deux voix « Ma Normandie » ou « Le
Cor » appris à l'école.
Comme aujourd'hui, l'institutrice devait savoir tout faire :
couture, gymnastique sur la cour, musique a l'harmonium, dessin...
J'ai fait des études qui m'ont passionnée mais je
me suis dit bien des fois quêtre institutrice en primaire
c'était le plus beau niveau d'enseignement.
A l'école, nous apprenions même l'ordre et la propreté,
bref le ménage ! Le soir, deux « grandes »
restaient pour essuyer les tableaux, vider les corbeilles à
papier, balayer la classe après avoir arrosé le
parquet de bois brut avec « l'arroseur »,
sorte d'entonnoir profond, épousseter les tables, bien
sûr tout cela avec la fenêtre ouverte : « Là
où entre le soleil, se sauve la maladie » lisait-on
parfois en haut du tableau. Même l'hygiène n'était
pas oubliée dans nos livres de « sciences ».
Et l'hiver, eh bien il fallait ajouter l'entretien du poêle :
vider les cendres, le « bourrer » pour le
lendemain. Et l'une de nous devait arriver le matin 1/4 d'heure
plus tôt pour « mettre l'allumette »
et « dégourdir » un peu la classe
avant que les autres ne soient là...
Anne était entrée en pension à 11 ans. Je
n'y suis allée qu'à 12, invoquant 3 raisons :
le certificat, la prochaine naissance de ce petit frère
que nous demandions depuis longtemps dans nos prières,
et... la « mission » qui était annoncée
pour l'hiver 36-37. Je ne crois pas que mes parents aient cédé
à mes désirs, ils devaient avoir d'autres raisons
pour me garder encore un an à la maison. En tout cas, je
n'ai jamais regretté d'avoir passé « mon
certificat » et d'être restée un an de
plus disciple de Madame Moreau !
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