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L'école  : chez Madame Clochard.
A 5 ans et demi, j'entrai à l'école libre ou enseignait Madame Clochard. Je m'imagine facilement, le 1er octobre, en « sarreau de Vichy » à carreaux discrets (le même qu’Anne), en bas de laine brune, en galoches toutes neuves, peut-être déjà protégée par un « capuchon », ( large pèlerine à capuche qui nous préservait du froid et de la pluie, faite en lainage épais car il n'y avait pas de tissus imperméabilisés), un cartable en cuir à la main ( destiné à « durer »), mais pas encore, dans l'autre main, la « chaufferette » garnie de charbons et de cendre qui nous accompagnera tout l'hiver, parce que la classe n'est pas chauffée.
Je pars sous l'égide de mon aînée qui entre en CE 2 et a déjà toute la confiance de la maîtresse. Madame Clochard vient de Parthenay ou restaient ses deux grands enfants. Avait-elle un mari ? Je ne sais pas... Mais je me demande bien comment elle pouvait à cette époque rejoindre sa famille à Parthenay  ?? Je pense que c'était une bonne maîtresse.
En arrivant le matin nous faisions la prière, et chaque fois que nous rentrions de récréation, nous disions un « Je vous salue Marie ». Et puis tous les niveaux ( 25 élèves ) se mettaient au travail. Je ne garde pas de souvenirs bien précis de ce travail. Je me rappelle plutôt quelques chansons que nous apprenions, en particulier « Les grands oiseaux » que maman aimait beaucoup. Il est vrai que le dernier couplet était d'une belle envolée  : « Le vol fiévreux des grands oiseaux, c'est l'éternelle nostalgie de l'âme humaine, inassouvie. Il faut aimer les grands oiseaux, car un rêve commun nous hante, de hauteur et d'immensité, de vitesse et de liberté. C’est l'infini qui nous tourmente ... » Et je vibrais  !! Ces grands oiseaux, c'étaient les avions encore si rares, que lorsqu'on percevait un vrombissement, tout le monde sortait dehors pour voir l'aéroplane : «  Là  !... là-haut  !  ! tout là-haut  ! »
Plus que les heures de classe, je me rappelle la préparation des « prix », les rôles que nous apprenions, les chants que nous répétions avec l'aide du fils et de la fille de Madame Clochard qui venaient en l'occurrence. Lui, nous accompagnait au banjo. Elle, s'occupait de la mise en scène... C'était vraiment la fête quand arrivait le grand jour. Je me rappelle une autre belle chanson pour les prix que nous accompagnions au « pipeau ».
« Réveille-toi, Venise la jolie, voici venir ton carnaval joyeux.
Fais en tes murs accourir l'Italie, de ta splendeur éblouis tous les yeux,
Comme une reine au bord des eaux assise,
Un peuple entier vient te faire sa cour ! Réveille-toi !
Réveille-toi, Venise ! Jamais pour toi n'a lui de plus beau jour ! ».
Ainsi ai-je connu Venise, du fond de mon petit Louresse et je chantais de tout mon cœur ! Et je rêvais ... Une autre chanson me transportait à Tahiti !... Et je rêvais...
Je ne me rappelle pas avoir été une élève brillante comme Anne, mais j'ai quand même eu l'honneur une fois d'être « couronnée » par Monsieur Edmond de Contades qui présidait parfois notre fête de fin d'année parce que le marquis soutenait l'école « libre ». J'étais impressionnée par ce grand monsieur blond qui, en battant mollement des mains, disait : « Braveu  ! Braveu ! », ce qui me paraissait être de la suprême distinction  !!
Cette année-là, je me rappelle, Madame Clochard s’excusait auprès de maman : « Anne aurait dû avoir le « prix d'honneur » ( le seul doré sur tranche ). Mais voilà  : elle est obligée de l'attribuer à P. dont la famille, si susceptible, ne lui pardonnerait pas » etc... Anne n'aurait donc que le « prix d'excellence ». Heureusement, maman était au-dessus de cela.

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À l'école libre (suite).
La cour n'était pas grande pour jouer, mais ça allait quand même. Une seule salle de classe pour la vingtaine de filles de 5 à 12 ans ( la maîtresse avait bien du mérite ! ) . Au fond de la cour, un petit préau ouvert et une salle sombre pour jouer à l'abri. Près de ces préaux, un oratoire, plein de statues (dont celle de Sainte Anne qui est dans la salle de jeux ) mais toujours fermé, sauf pendant les trois jours de « retraite » préparatoire à la Communion. Je fus vite concernée ayant fait ma « petite communion » et reçu la confirmation des 7 ans.
Ces jours de retraite avaient un charme exceptionnel à cause de l'oratoire silencieux et recueilli, à cause des sermons de Monsieur le Curé Ragueneau qui remplaçaient les cours, à cause de la confession, des répétitions pour le jour J, mais aussi parce qu'on « mangeait à l'école » à midi. Chacune arrivait le matin avec son petit panier où les mamans avaient glissé de douces choses. C'était bien !! Nous étions censées rester dans le recueillement, mais un jour « au dessert » Y. a chanté une chanson plutôt légère où il était question de coucher dès 15 ans avec un mari !... Ce n'était pas précisément dans le ton... mais je me rappelle toujours la dite chanson  !!
La maîtresse habitait l'aile perpendiculaire, et sa cuisine communiquait avec la salle de classe. Quand il faisait trop froid, elle laissait la porte ouverte entre les deux et sa cuisinière était censée chauffer les deux pièces... En fait, nos chaufferettes étaient plus efficaces et cependant il nous arrivait de garder nos « mitaines » ( gants sans doigts ), quand nous avions trop froid pour écrire. Ainsi la bonne odeur de soupe arrivait jusqu'à nous, et la maîtresse en donnait un bol à celles qui restaient à l'école à midi. Parfois, elle allait à la cuisine pour éplucher les légumes ou surveiller son ragoût et elle disait à Anne  : « Anne, fait faire la lecture » et Anne faisait lire les autres, dans des livres très sérieux comme « La petite Élisabeth » ou « Le Tour de France de deux enfants ». Et tout se passait bien.
Parfois elle lui demandait des services plus étranges. Ainsi, sa chatte ayant eu des petits chats, elle les jeta dans un seau plein d'eau et ordonna à Anne de s'asseoir sur une planche par-dessus, jusqu'à ce que les pauvres mini-chats soient noyés.
Encore mieux  : sa fille Marie-Louise ayant trouvé le moyen de se fiancer avec le loustic L.M., et ayant ( heureusement ) rompu ses fiançailles, Anne fut chargée de rapporter la bague à qui de droit ! C'était vraiment l'élève de confiance. Mais là, maman n'a pas trop apprécié  ! Quand Madame Clochard voulait retourner à Parthenay, elle prenait son lundi ( comment faire autrement  ? ) et nous faisait classe le jeudi suivant. Papa ne trouvait pas cela sérieux. Un lundi matin il me voit à la maison. « Qu'est-ce que tu fais là ? Encore pas d'école aujourd'hui ? Ça suffit comme ça. Je t'emmène chez Madame Moreau ». Protestations inutiles de ma pauvre maman très attachée à l'école chrétienne, au caté qui y est enseigné. Elle voit d'un coup les conséquences d'un tel geste... Peine perdue. Papa me prend par la main, me fait traverser la rue et je me retrouve dans une classe « laïque » de 7 élèves... au grand ébahissement de Madame Moreau qui n'en croit pas ses yeux !

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