Dans ces anecdotes les prénoms ont parfois été changés.
Le "babouin"
Gabriel, agriculteur propriétaire, habitait en bordure du village. Il possédait aussi un clos de l'autre côté du village. Dans ce clos trônait un gros cerisier. Tous les printemps Gabriel faisait sensation lorsqu'il traversait le village avec une brouette dans laquelle il transportait son "babouin" (ainsi le nommait-il), sorte de grand épouvantail dégingandé habillé de vieux vêtements, avec, en guise de tête, un masque trouvé je ne sais où. C'est qu'il fallait chasser les maudits sansonnets qui souvent récoltaient les cerises avant le propriétaire. Gabriel intallait le babouin au pied de l'arbre. L'épouvantail, assis par terre et adossé au tronc, ressemblait à un vieux bonhomme qui se reposait. Mais la voisine du clos, la mère Clémence, curieuse de tout ce qui se passait dans le village, observait Gabriel par dessus le mur mitoyen. La mère Clémence, dotée d'une voix agréable, était une incorrigible bavarde. Et pourtant, ce qu'elle disait était intéressant car elle était toujours au courant des derniers potins. Pendant quelques années le téléphone public du village avait été installé chez elle. Position stratégique pour savoir tout sur tous ! Quand on était pressé et qu'on apercevait la mère Clémence dans la rue, on passait par la rue parallèle et on gagnait son temps. Devenue vieille, sa vue baissa. On raconte qu'une fois, par dessus le mur, elle avait causé au babouin pendant une demi-heure. Elle aurait ensuite dit aux autres voisins : "J'comprends pas ! Gabriel doit être fâché après moi ! J'lui cause et il répond point".
Le "47"
Marcel, agriculteur propriétaire, avait son exploitation à l'endroit le plus haut de la commune : altitude 103 mètres. De quoi faire sourir les montagnards, certes, mais chez nous, c'est haut ! Un jour, Marcel décide de faire creuser un puits près des bâtiments de sa ferme. Il fait venir un sourcier. Cet homme est doté d'un pouvoir quasi-magique pour repérer les nappes d'eau sous le niveau du sol. Il dit au père Marcel en lui montrant un endroit précis : "C'est là qu'il faut creuser, l'eau n'est pas loin !". Il n'y a plus qu'à commander Armand le puisatier, qui est aussi maçon quand il n'y a pas de puits à creuser. Armand arrive avec son commis. Et le chantier commence. Le creusement est difficile car le sol est dur à cet endroit. Le père Marcel est confiant : n'a-t-il pas suivi les recommandations d'un sourcier réputé ? Il dit aux puisatiers : "Les gars, dès que vous aurez atteint l'eau, je déboucherai une bouteille de 47 !". Mots magiques ! 1947 est l'année d'un cru exceptionnel. Le vin, de mémoire d'homme, n'a jamais été aussi bon, grâce à une météo parfaite. Les puisatiers se délectent par avance et redoublent d'efforts. Quelques jours après, Armand commence à s'inquiéter. Pas d'eau en vue ! Armand exerce le métier depuis plusieurs années et la tournure des évènements ne lui dit rien qui vaille. Pourvu que cela ne finisse pas en fiasco ! Et alors pas de 47 ! "J'ai une idée !" dit Armand. Il avise, en bas d'une gouttière, un baquet d'eau encore bien rempli depuis la dernière pluie. Avec son commis il vide le baquet dans le puits et court chercher le père Marcel. "Père Marcel ! Père Marcel ! Ca y est ! Il y a de l'eau !". "Ah, enfin !" dit le père Marcel au comble du bonheur. Il se penche et voit le reflet de l'eau au fond du puits. "Dites-donc père Marcel, vous n'auriez pas parlé d'une bouteille de 47 ?" demande Armand. "Je vais la chercher tout de suite" répond le père Marcel. Comme il était bon ce 47 ! Gouleyant, rafraîchissant ! Une pause de bonheur au milieu du chantier. Mais le lendemain l'eau avait été bue par le fond du puits. Il a fallu arrêter le creusement au bout de quelques jours. Il n'y avait pas d'eau à cet endroit-là.
Le puits n'est pas perdu. Il sert maintenant à collecter les eaux pluviales.
Le gendarme
Armand, le héros de l'anecdote précédente, était souvent, vers la fin de sa carrière, en conflit avec les gendarmes. Non pas qu'il ait été violent ou malhonnête, car il était un "bon gars", mais il faisait la fête plus que de raison et ne savait pas s'arrêter. Il avait le syndrome du martyr. Il pensait : "Les gens voient toujours quand j'ai bu, mais ils ne voient jamais quand j'ai soif !". Il ne se rendait pas compte de son état et considérait la répression gendarmesque comme une atteinte à sa liberté. Première vexation : la suppression de son permis de conduire. Pour conduite en état d'ivresse, vous l'avez deviné ! Mais Armand avait trouvé la parade : il allait dorénavant à Doué-la-Fontaine dans une petite carriole tirée par un bourricot. Ce faisant, sur la route à grande circulation, il était un danger public autant qu'un conducteur éméché. On ne pouvait rien lui dire, la loi n'interdit pas de se déplacer dans un véhicule hippomobile. Il doit y avoir un saint protecteur pour les ivrognes car il n'y a pas eu d'accident. Autres vexations : Armand était parfois invité à passer la nuit dans la cellule de dégrisement au sous-sol de la gendarmerie. Bien entendu, le lendemain, il allait arroser sa libération avec ses copains. Les gendarmes le connaissaient bien, et il connaissait bien les gendarmes. Un jour, à Doué-la-Fontaine, Armand aperçoit un gendarme posté au carrefour dit "du château", où se croisent les routes vers Saumur, Angers et le centre-ville. C'était un jour de grande circulation et la présence d'un gendarme incitait les automobilistes à la prudence. Bien en évidence, debout sur le trottoir face au trafic, les bras croisés, l'air sévère, l'uniforme impeccable, il en impose par sa présence, il est le représentant de la loi. Armand décide aussitôt de se venger de toutes les misères infligées par la gendarmerie. Il se met à quelques pas du gendarme, à côté sur le même trottoir, et il se met à le singer dans tous ses faits et gestes, les bras croisés, le même regard sévère face aux voitures. Quand le gendarme regarde à droite, Armand regarde à droite. Quand il regarde à gauche, Armand regarde à gauche. S'il fait un pas à droite, Armand fait un pas à droite. S'il fait un pas à gauche, Armand fait un pas à gauche. Une copie conforme ! Dans la tête du malheureux gendarme défilent tous les articles du code pénal. S'agit-il d'une insulte à un représentant de la loi ? Non, car Armand ne dit rien et il ne le regarde même pas (même s'il l'observe discrètement du coin de l'oeil). S'agit-il d'une violation de propriété ? Non, car un trottoir est sur le domaine public et n'importe quel citoyen a le droit d'être sur le domaine public. Faire un contrôle d'identité ? A quoi bon ! Le gendarme a bien reconnu Armand. La situation s'éternise. Les automobilistes sont interloqués de voir deux gendarmes parallèles, un en unifome et un en civil. Mais le plus cruel est que les passants ricanent, car ils ont reconnu Armand et ont compris la facétie. Ils se dépêchent d'aller au bistrot ou à la société de boule de fort pour raconter la scène aux copains. Le gendarme, n'ayant pas trouvé de solution, décide de rentrer à la gendarmerie.
Une vache sur le toit
Elever des animaux à Rochemenier n'était pas chose facile. Cela est dû à la configuration particulière du village. Il y a de nombreuses cours en creux, appelées "carries", qui correspondent à d'anciennes carrières à ciel ouvert de falun, autour desquelles ont été creusées des "caves" qui ont servi d'habitations et dépendances agricoles, car la plupart des habitants étaient des petits paysans. Les cours en creux étaient des enclos pratiques d'où les animaux ne pouvaient pas s'échapper, surtout les gros animaux, car il suffisait de fermer la "courdoire" (chemin descendant à la cour) avec un portail. Dans la journée on conduisait vaches, chèvres et moutons dans les pâturages. Le soir on les ramenait dans la ferme troglodytique où il y avait un abreuvoir ("bassin") près d'un puits. Il fallait régulièrement remonter le fumier avec une civière, le charger dans un tombereau et le transporter dans les champs où il servait d'engrais. C'était un travail pénible. Quant aux volailles, elles ne quittaient guère la cour en creux, à condition toutefois de bien éjointer les poules (couper les rémiges d'une aile) pour qu'elles n'escaladent pas les parois. Certains éleveurs clôturaient des parcelles de terrain au dessus des "caves" pour y laisser les génisses, vaches encore trop jeunes pour aller dans les prés. Clôturer n'était pas facile car, à Rochemenier, à une faible profondeur en dessous de la surface, se trouve un falun extrêment dur que les gens appellent "güai" (prononcer "guhé"). Les piquets de clôture s'enfonçaient très bien dans la terre arable mais ne pouvaient pas pénétrer dans le "güai"). Bien des piquets de bois éclataient sous les coups de masse quand on tentait de les enfoncer. Les génisses, souvent énervées, arrivaient parfois à bousculer ces fragiles clôtures et allaient divaguer au dessus des "caves". C'était dangereux. Il a été signalé des chutes dans des cours en creux ou dans des "caves" éboulées. On ne s'apercevait pas tout de suite de leur disparition. Certaines s'en sortaient indemnes. Mais d'autres, souffrant de fractures et de fièvre, devaient être euthanasiées. Il fallait ensuite sortir le cadavre en le tirant avec un palan par les couloirs souterrains de la ferme troglodytique. Pour illustrer les aléas de l'élevage à Rochemenier, voici une lettre envoyée par un éleveur à son assureur à Doué-la-Fontaine. "Monsieur. Mon troupeau est assuré chez vous. J'ai perdu une vache qui est montée sur un toit et est passée au travers". L'employé de l'assurance ne devait pas être originaire de la région. En lisant la lettre il a la certitude d'être victime d'un canular. C'est la première fois qu'on lui relate un accident aussi invraisemblable. "Une vache ne peut pas monter sur un toit, quand même !". Il demande des explications à l'éleveur. Celui-ci l'invite à venir constater par lui-même. Et l'assureur se déplace exprès de Doué-la-Fontaine à Rochemenier. Sur place il comprend, stupéfait, les circonstances du drame. Comme déjà mentionné auparavant, la rue qui traverse Rochemenier est bordée de cours en creux. Autour de ces cours : des caves troglodytiques. Mais pas seulement ! Il y avait aussi des granges à foin adossées à la paroi qui longe la rue. Ces granges pouvaient être couvertes en tuiles ou en ardoises. Le toit se trouvait donc au niveau de la rue. Un petit ouvrage en charpente (un "abat-foin") formait une ouverture permettant de jeter le foin directement de la rue dans la grange, sans descendre avec la charrette par la "courdoire" en pente. L'éleveur raconte : "Je menais mes vaches au pré, mais il y a eu une bousculade dans le troupeau et une vache a été poussée sur le bas-côté de la rue. A cet endroit, au même niveau, il y avait la toiture, presque plate, d'une grange. La vache est montée sur le toit, croyant que c'était la terre ferme. Evidemment la toiture n'a pas résisté et la vache est passée au travers".
Rien de tel, pour comprendre, que d'aller voir sur place. Mais avant d'enclencher l'indemnisation, l'assureur savait que le dossier serait vérifié par sa hiérarchie au siège social. Quel casse-tête pour trouver une formulation compréhensible de cet accident !
Le Petit-Anjou
Les témoins qui ont pris le « Petit Anjou », le petit train qui desservait de nombreuses localités du Maine-et-Loire, sont devenus rares. Jean, de Louresse, se souvient de lavoir pris dans sa jeunesse. Voici ce quil ma raconté : « En 1942, pendant la guerre (javais alors 11 ans) jai eu loccasion de prendre le Petit Anjou. Mes parents tenaient lépicerie du village. Nous avons été invités à un baptême chez des cousins à Beaupréau et ma sur Colette avait été demandée comme marraine. Normalement, quand on tient un commerce, il est difficile de sabsenter, mais à cette époque, pendant la guerre, le commerce nétait pas florissant. Il fut décidé daller en famille à ce baptême. En notre absence ce sera la grand-mère qui tiendra la boutique. Et nous voilà partis, à vélo, jusquà Angers, mes parents, mes deux surs et moi. Les vélos nétaient pas aussi perfectionnés quaujourdhui, mais en roulant doucement et malgré mon jeune âge (javais quand même un vélo dadulte) nous avons atteint sans encombre la gare Saint-Laud dAngers. Cest de là que partait le Petit-Anjou. Aujourdhui, ce train ne paierait pas de mine : une petite locomotive à vapeur, quelques voitures de passagers, et un ou plusieurs wagons pour les marchandises et les vélos. Pour accéder aux compartiments : pas de couloir. Chaque compartiment avait une porte qui souvrait sur lextérieur. Dans les voitures de 2e classe, on sasseyait sur des banquettes en bois. Et cest parti ! Direction Beaupréau ! Bien entendu, le tortillard ne battait pas de record de vitesse, mais pour les enfants que nous étions cétait quand même une aventure. On avait largement le temps dadmirer le paysage. Tout dun coup, vers Chalonnes, le train sarrêta en pleine campagne. Nous étions étonnés, bien-sûr. Mais cétait tout simplement le chauffeur du train qui venait de voir, près de la voie, une vigne avec des vendangeurs. Y avait-il reconnu des copains ? Les passagers en profitèrent pour descendre du train pour causer avec les vendangeurs et goûter au raisin. Et cest ainsi que, finalement, nous sommes arrivés à Beaupréau, où nous sommes restés quelques jours dans la famille. Pour retourner à Louresse, nous navons pas repris le Petit Anjou. Nous sommes rentrés à vélo, mais pas dune seule traite. Nous avons rendu visite à dautres membres de la famille qui habitaient sur le trajet et chez qui nous avons pu dormir ». Commentaire de Victor : Cétait un autre temps et une autre ambiance. Je nai jamais entendu parler de TGV (train à grande vitesse) qui sarrêterait en pleine campagne pour que les passagers aillent causer avec les vendangeurs. Le Petit Anjou sest arrêté définitivement en 1947.
à suivre