Le courrier, vérifié par la censure.

Extrait de : La captivité des prisonniers de guerre, Histoire, art et mémoire, 1939-1945, sous la direction de Jean-Claude Catherine, Presse universitaires de Rennes. Consultable sur Internet.

"Les prisonniers avaient le droit d'écrire deux lettres de 25 lignes et deux cartes postales de sept lignes par mois, sur des formulaires spéciaux. Les lettres étaient soumises à la censure et étaient lues et contrôlées aussi bien par la poste allemande que française. L'acheminement du courrier durait de trois à quatre semaines. Les prisonniers de guerre avaient le droit de recevoir un colis de 5 kg tous les deux mois ainsi que deux petits colis de 500 g ou un d'un kilo par mois contre des étiquettes que les prisonniers envoyaient à leurs familles. Le repas préparé avec des aliments provenant des colis et pris en commun par une « popote » faisait partie des rares moments de bonheur de la captivité".



Ecrit le 15/11/1942. Reçu par Irène COURANT le 2/12/1942.
Ma chère Irène, je pense que tu es toujours en bonne santé ainsi que tes parents. Pour moi ça va. Je n'ai pas de nouvelles de toi depuis un mois. Que c'est long ma petite femme sans lettre de toi, puisque c'est la seule consolation que nous avons en attendant le jour du retour qui hélas ne vient pas vite. Que ce jour-là sera beau, après une si longue séparation. Voilà bientôt 3 ans que je n'ai pas vu ma bien-aimée. Que la vie est dure sans pouvoir être heureux. Je ne pourrai jamais faire assez quand je serai rentré pour te faire oublier ces tristes années que tu as passées seule. J'ai reçu cette semaine un colis numéro 401 de chez nous.  Je t'ai envoyé 2 étiquettes (1), mais surtout ne te prive pas, car vous n’en avez peut-être pas de trop pour vous non plus. La vie ne doit pas être bien gaie en France. Je voudrais savoir si Clément est parti à Louresse. Tu voudras bien souhaiter le bonjour pour moi à tous, à tes parents à Villeneuve, et chez nous. Je vais te quitter, aujourd'hui dimanche, et quel dimanche l'on passe. Il commence à faire froid, mais j'ai mis mes galoches et un gilet de laine. Au revoir ma petite femme.
 
Ecrit le 22/11/1943. Reçu par Irène COURANT le 20/12/1943.
Chère petite Irène. Je pense que tu es toujours en bonne santé ainsi que tes parents. Pour moi ça va. Depuis un moment : pas de colis. C'est très long à venir (comme la classe) (2). Enfin, ne vous inquiétez pas, nous avons toujours de quoi manger tant que nous serons à la campagne. Je ne sais pas si nous passerons civils (3). On en parle fort depuis quelques temps. Pour moi ça m'est égal, comme il n'y a pas grand-chose de changé, tant que nous ne sommes plus enfermés. Que devenez-vous ? La vie est bien dure sans doute pour la nourriture. En avez-vous assez ? Je pense que oui, car à la campagne vous pouvez toujours vous débrouiller plus qu'à la ville. Dans la région vous n'avez pas souffert de bombardements. Je me demande si un jour cette guerre prendra fin. Depuis plus de 4 ans que cela dure. Je crois que c'est assez et il est temps de retrouver son foyer, sa famille, reprendre enfin la vie normale, la vie civilisée, car ici prisonnier ce n'est pas bien gai. Enfin, attendons. Je t'envoie une pellicule (4) où je suis avec un camarade. Ton petit mari qui t’aime et t’embrasse.

(1) Equivalent de timbres-poste pour envoyer des colis ?
(2) A l'origine : soldats de la même classe de conscription. Mais à l'usage : camarades de la même unité.
(3) En 1943 et 1944 les prisonniers ont pu opter pour la « transformation », c’est-à-dire le passage du statut de prisonnier à celui de travailleur civil. Avantages : logement en dehors du camp, salaire (dont on peut envoyer une partie dans sa famille en France), meilleure nourriture, plus de liberté. Inconvénient : ces nouveaux civils n'étaient plus protégés par la Convention de Genève sur les prisonniers de guerre. Les Allemands ont même fait une tentative d’envoyer ces nouveaux civils en France pour une courte permission, mais comme ils en profitaient pour s’échapper cette expérience a vite cessé, et les nouveaux civils n’avaient plus le droit de quitter la région de leur travail. Finalement peu de prisonniers ont opté pour ce changement de statut. Ne pas confondre cette "transformation" avec le STO (Service du Travail Obligatoire), déportation de 600 000 hommes nés en 1920, 1921 et 1922 pour travailler en Allemagne.
(4) Photo.

Retour guerre 1939-45

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