Histoire du soldat Emile BONNET
Emile est né le 20 avril 1912 à Rochemenier. Ses parents sont Narcisse BONNET âgé de 29 ans, cultivateur, et Louise LANDARD âgée de 19 ans, cultivatrice. Narcisse BONNET n'est pas originaire de Rochemenier. Il est né en 1883 à Clessé dans les Deux-Sèvres. En revanche Louise LANDARD, son épouse, a des ancêtres à Rochemenier jusqu'au XVIIe siècle au moins. Emile a donc deux ans quand son père Narcisse est mobilisé pour la guerre de 1914-18. Narcisse revient de la guerre avec une citation pour bravoure et la Croix de Guerre mais... avec le bras gauche en moins. En 1936 il est nommé Chevalier de la Légion d'Honneur. Malgré son handicap il réussit à tenir son exploitation agricole. Il faut du courage et de l'opiniâtreté pour tenir un attelage et labourer avec un seul bras. Il a le statut de mutilé de guerre, ce qui permet à son fils Emile d'être adopté pupille de la nation à partir du 28 juin 1928, et ainsi bénéficier d'une aide de l'état. Dès qu'il le peut, Emile seconde son père. Il apprend ainsi très jeune son métier d'agriculteur.
Emile fait son service militaire du 15 Avril 1933 au 15 Avril 1934 au Premier groupe d'ouvriers aéronautique (devenu plus tard le Premier bataillon de l'air). Il fait partie de ceux qu'on appelle les "rampants", c'est à dire tous ceux qui travaillent au sol dans une base aérienne. Emile est pompier. Il rentre ensuite à la ferme de Rochemenier.
Le 3 septembre 1939 la guerre est déclarée. Emile est intégré au régiment du 6e Génie d'Angers. Dans la nuit du 12 au 13 septembre sa compagnie embarque à Trélazé (par train ou par camions ?) à destination de Bénestroff (Moselle) où elle arrive le 15 septembre. Le cantonnement est à Hellimer à 12 km de là. Finalement la compagnie s'installe à Landroff (Moselle). Emile est fait prisonnier le 22 juin 1940 à Chatillon (sur Seine ?). Il est conduit au camp de prisonniers Frontstalag 203 à Mulsanne, près du Mans dans la Sarthe. Cela peut paraître étonnant que des prisonniers de guerre français soient internés en France et non pas en Allemagne. En fait, les Allemands ne s'attendaient pas à une victoire aussi rapide et facile et ils n'avaient pas anticipé la gestion de tous ces prisonniers (1,5 million). Avant de les envoyer en Allemagne, il fallait les trier et organiser leur captivité, leur trouver une destination dans les usines, les mines, les fermes etc. Et il n'y avait pas que des prisonniers français, il y avait aussi des Belges et des Anglais.
Le camp de Mulsanne.
Ce camp de prisonniers est peu connu des Français d'aujourd'hui.
Peut-être parce qu'il n'y en a plus de trace. A son emplacement
il y a maintenant une partie du cicuit automobile des 24h du Mans.
Et pourtant, des milliers de prisonniers y sont passés.
On trouve de nombreux renseignements sur Internet et dans quelques
livres. La lecture de ces documents nous laisse imaginer ce que
Emile y a vécu. Pour commencer : en 1939 ce lieu est un
vaste casernement pour les troupes britanniques venues pour la
guerre en France. Comme la guerre tourne mal, les Britanniques
quittent les lieux. Les occupants allemands profitent de ces lieux
vacants pour y enfermer les prisonniers de guerre français
avant de les envoyer en Allemagne. Les infrastuctures sont déjà
existantes. Il suffit de renforcer l'enceinte de barbelés.
Le camp s'appelle désormais "Front Stalag 203".
Les prisonniers y restent quelques mois, dans des conditions très
difficiles. Certains prisonniers, dont Emile, sont envoyés
travailler dans les fermes environnantes. Quels moyens de pression
avaient les Allemands pour éviter que les travailleurs
dans les fermes n'en profitent pour s'évader ? Peut-être
des représailles pouvant s'exercer sur les fermiers employeurs
ou d'autres prisonniers restés dans le camp. Quoi qu'il
en soit, le sort de ces travailleurs forcés dans les fermes
était bien meilleur que ceux restés dans le camp
car la nourriture y était plus abondante. En mai 1941,
les derniers prisonniers sont emmenés par train en Allemagne.
Le camp n'est pas abandonné pour autant. Il sert ensuite
à interner les Tsiganes, qui sont ensuite déplacés
vers Montreuil-Bellay (49). A partir de 1942 il sert de camp de
transit pour les Juifs avant leur déportation en Allemagne.
En 1945 la situation s'inverse. L'Allemagne est vaincue. Les prisonniers
allemands (plus de 8000), gardés par des soldats français,
prennent la place des précédents. Ils sont libérés
en 1947.
Emile sympathise avec la famille de fermiers chez qui il travaille. Mais les Allemands ont besoin de main d'oeuvre dans leur pays pour remplacer leurs soldats partis sur différents fronts. Les prisonniers sont conduits à la gare d'Arnage pour être acheminés en Allemagne. Emile, débrouillard, profite d'une occasion pour sauter du train. Il réussit à rentrer chez lui. Mais la méfiance règne. Des voisins ou passants mal intentionnés pourraient le dénoncer aux autorités. Pendant 6 mois il reste caché le jour et ne sort que la nuit. Voisins et famille ont pourtant soupçonné qu'il était rentré à la maison en voyant le linge que sa mère laissait imprudemment sécher dehors. Heureusement chacun a su tenir sa langue. Finalement, la chasse aux prisonniers évadés a cessé. L'Allemagne avait besoin que les agriculteurs français travaillent pour nourrir ses troupes et sa population civile.
Emile racontait volontiers cette anecdote : le régiment du 6e Génie devait construire des casemates en béton armé dans le nord-est de la France. C'était l'hiver 1939-1940, la "drôle de guerre". Il faisait très froid. Un général venu inspecter le chantier demanda aux soldats pourquoi les travaux étaient arrêtés. Les soldats expliquèrent "Mon Général on ne peut pas faire de béton quand il gèle". Le général répondit : "Faites chauffer de l'eau !". Emile, ironique et désabusé, concluait son histoire : "Pas étonnant qu'on ait perdu la guerre !".