Les prisonniers

Prisonniers français en 1940. Source Internet.

 

Pour un historien amateur, il n'est pas facile d'étudier cette période de l'histoire. Dans les livres et sur Internet, on trouve des généralités incontestables. Les grands évènements y sont très bien relatés. Mais savoir comment cela s'est passé dans une petite commune rurale comme la nôtre n'est pas chose aisée. La France d'alors était fracturée : les pro-Pétain, les opposants, et la grande majorité silencieuse. Les gens se méfiaient les uns des autres. "Dans quel camp est telle personne ? Telle autre fait-elle du marché noir pour s'enrichir ?". Etc, etc... Il valait mieux ne rien voir et ne rien entendre pour garder de bonnes relations avec ses concitoyens. Aujourd'hui on sait comment la guerre s'est terminée. Mais jusqu'à fin 1942 il n'y avait aucun espoir à l'horizon. Les Allemands étaient vainqueurs partout. Qu'allait-on devenir ? La France, colonisée par l'Allemagne, allait-elle disparaître définitivement ? Les 1,5 millions de soldats prisonniers reviendraient-ils un jour ? Le moral était au plus bas. Bien entendu, à partir de 1943, les nouvelles des revers militaires de l'Allemagne en Afrique du nord et en URSS se répandent dans la population. Mais la propagande officielle est efficace. Elle minimise ces revers. Stalingrad et El Alamein sont loin. En quoi cela nous concerne-t-il ? Certains écoutent en cachette Radio-Londres. Mais n'est-elle pas une radio de propagande au même titre que l'autre ?

Le sort des prisonniers est le principal souci. Au moment de la défaite l'inquiétude était à son comble. On ne savait pas ce qu'étaient devenus les soldats. Etaient-ils vivants ? Blessés ? Mais progressivement les nouvelles arrivent, et les premiers courriers des prisonniers. Ouf, il est vivant ! Bien sûr, il n'y a pas beaucoup de détails et on devine que la censure veille, mais c'est un soulagement. Petit à petit on organise l'envoi de colis aux prisonniers : vêtements chauds, nourriture. Les autorités allemandes ne persécutent pas les prisonniers français. Elles ont le souvenir que pendant la guerre de 1914-18 les prisonniers allemands n'ont pas été maltraités par les Français. C'était seulement il y a un peu plus de vingt ans ! Cependant chacun a conscience que ces 1,5 million de prisonniers sont autant d'otages. "Restez sages, citoyens français, sinon les prisonniers en subiront les conséquences !".

Tous ces prisonniers français en Allemagne sont autant d'êtres chers arrachés à leur famille, mais ils sont aussi des travailleurs qu'il faut remplacer. A Louresse des écoliers passent leur Certificat d'Etudes à 12 ans puis deviennent ouvriers agricoles. Même pour d'excellents élèves, pas question de continuer les études ! De même, les femmes doivent effectuer de durs travaux physiques réservés auparavant aux hommes. L'avantage de vivre dans une petite commune rurale est que l'on n'est pas privé de nourriture. On aide comme on peut les malheureux citadins, venus de Saumur ou Angers, à vélo, le dimanche, acheter du ravitaillement.

Aujourd'hui encore il y a une sorte d'omerta. Ceux qui ont vécu cette époque sont pour la plupart morts de vieillesse, et on pourrait croire qu'ils ont transmis leurs souvenirs à leurs enfants. Malheureusement ce n'est pas souvent le cas. Cependant certaines familles ont hérité de ressentiments envers d'autres familles, suite à des évènements datant de la guerre. Ces vieilles histoires n'intéressent plus les jeunes générations et tout finira dans l'oubli.

Les malheureux prisonniers finissent par rentrer chez eux, mais environ 50 000 de leurs camarades sont morts en captivité. Ils rentrent traumatisés, amaigris, fatigués. Ils viennent de quitter une Allemagne ravagée par les combats et les bombardements et ils arrivent dans une France qui commence à revivre. Depuis presque un an (Saumur a été libérée fin août 1944), on répare, on reconstruit, on réorganise. Il faudra quand même longtemps avant que les tickets de rationnement soient supprimés. C'est la joie de retrouver ses proches, mais cinq années ont passé. Les enfants sont devenus adolescents. Les adolescents sont devenus adutes. Des vieux sont morts de vieillesse. Les prisonniers s'aperçoivent qu'on a appris à vivre sans eux. Le monde qu'ils (re)découvrent est bien différent de celui qu'ils ont laissé. Le plus dur est de croiser le regard des anciens combattants de la guerre de 1914-18 qui, eux, au prix de souffrances abominables ont gagné leur guerre.

Les prisonniers n'ont pas été bavards sur leur captivité. Certains enfants de prisonniers sont incapables de transmettre les souvenirs de leur père car il ne leur a rien raconté. Pour les vétérans de la guerre de 1914-18, c'était la même chose. Ils n'avaient pas envie d'en parler.

Le premier étonnement pour un historien amateur est qu'il n'existe pas de liste française des prisonniers de guerre. La seule liste disponible, et qui est largement publiée sur Internet, est une liste fournie par les autorités allemandes, et qui date du 12 août 1940. Elle était traduite en français dès le départ. Cette liste est bien imparfaite. Et pour cause ! Elle a été faite trop vite et trop tôt. Rappel : l'armistice a été signée le 22 juin 1940. Les Allemands ont dispersé les prisonniers un peu partout et le recensement n'a pas été fait correctement. En ce qui concerne Louresse-Rochemenier, voici un tableau comparatif des prisonniers mentionnés sur cette liste et des prisonniers considérés comme tels dans les souvenirs des Louressois. La liste allemande est imprécise et la liste louressoise l'est tout autant, car des prisonniers ne sont pas rentrés dans la commune ou ont déménagé rapidement après leur retour. On les a oubliés.

Commentaires (24/11/2024).

Il y a eu au moins 35 prisonniers, ce qui est énorme pour une petite commune rurale (669 habitants au recensement de 1936).
Les prisonniers de cette liste sont des Louressois, soit nés sur la commune mais habitant ailleurs au moment de la déclaration de guerre, soit habitant sur la commune au moment de la déclaration de guerre mais originaires d'ailleurs (ouvriers agricoles par exemple). S'ils sont nés hors Maine-et-Loire, cela est mentionné dans la colonne "Renseignements".
- AGNES Pascal. Il est le plus vieux prisonnier. Il est parti à la guerre en 1939. Il avait 37 ans. Il est revenu en 1945. Il avait 43 ans.
- BLOND Jean Baptiste (pupille de la nation). Il est le fils de BLOND Jean qui a été cantonnier de la commune de 1907 à 1914 et qui a été tué à la bataille de Verdun en 1916.
- GILBERT Valentin (1re classe, 1er Bat, 1re Cie), MARTIN René (sergent 1er Bat, 2e Cie) et TREMUREAU André (2e cl) ont servi au 125e Régiment d'Infanterie d'Angers.

Prochaine étape dans quelques semaines dans ce site web : l'album des prisonniers. Nous avons des photos de la plupart d'entre-eux.

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